
La marionnette Ubu a encore frappé ! Et cette fois en un autre lieu du politique, plus contemporain : la figure de Président, par exemple de la République Française mais pas que. Ubu peut exister partout où l’arbitraire existe, partout où l’obscurantisme règne comme dans le complotisme actuel sur les réseaux sociaux, partout où le pouvoir ne demande qu’à être absolutisé avec l’alibi populiste! L’ubiquité d’Ubu est sans limite car les mauvaises passions humaines sont partout. En jeu également, la pulsion de commander qui va avec celle d’obéir et d’admirer, de se prosterner devant un chef, bêtement, aveuglément, servilement.
Oui, cet Ubu président est bien d’aujourd’hui et sa metteuse en scène, Isabelle Starkier, le revendique : « Ubu c’est l’emblème du tyran, mais d’un tyran ridicule, pathétique, comme notre 21ème siècle sait en produire à la pelle – à tarte ! C’est celui devant lequel on hésite entre rire et pleurer, celui qui n’a plus même l’air vrai : un dictateur en carton-pâte maquillé sous les oripeaux populistes de la démocratie ».
Le texte original d’Alfred Jarry a été adapté avec brio, finesse et humour par l’écrivain et dramaturge Mohamed Kacimi. Il a opéré des retranchements et des ajouts mais avec une finalité de réveil des consciences : « J’ai conçu cette pièce comme un cri d’alarme. À travers les aventures grotesques d’Ubu, je veux montrer comment la démocratie peut basculer, d’un moment à l’autre, dans l’absurde et la violence quand la démagogie l’emporte sur la raison ».
Le père et la mère Ubu deviennent avec lui des chômeurs patentés qu’une journaliste arriviste va manipuler. Quoi de mieux pour faire du buzz que de les propulser dans la course présidentielle. Comme souvent avec les pantins politiques que leurs mentors croient contrôler une fois au pouvoir, il s’avère que le couple Ubu réussit trop bien son ascension et se coule très vite dans la fonction. Il en fait le tremplin de sa tyrannie à coup de mesures démagogiques qui s’avéreront catastrophiques pour le pays… La satire ne se refuse rien, tout y passe comme le « Je vous ai compris » gaullien et démago au possible ; le « Ubu vainqueur des sondages » des médias qui veulent faire l’élection avant l’élection ; la xénophobie ambiante avec « l’opération L’Oréal » qu’Ubu veut lancer et consistant à « teindre tous les noirs et les bicots en blonds » ! Le tout abondamment ponctué du fameux « Merdre ! ». Un programme assez trumbuesque car il y a du Ubu dans Trump et réciproquement : suppression des impôts mais taxes à tout va, abolition du vieillissement pour éliminer le déficit des retraites – il suffit chaque fois de signer des décrets !
La musique en plateau d’Alain Territo est omniprésente et joue aussi le rôle d’ambianceur de l’irrésistible ascension sociale du couple Ubu. Deux choses remarquables de cette mise en scène : d’une part la délimitation spatiale de la zone d’action des personnages de Père Ubu et de Mère Ubu qui se retrouvent comme parqués sur une sorte de ring, véritable scène dans la scène, ce qui les situe d’emblée dans une représentation distanciée, dans un métalangage théâtral. D’autre part, les costumes du couple présidentiellement ubuesque. Plus que des costumes, Aurore Popineau leur a confectionné des enveloppes vestimentaires boursoufflées comme leur ego et qui les transforment en de superbes et grotesques marionnettes vivantes à taille humaine – joli clin d’œil à la forme originelle que Jarry avait donné à la pièce ! Bien sûr, la qualité du spectacle tient aussi au jeu formidable de Stéphane Miquel, un père Ubu clownesque tantôt pathétique tantôt diabolique et de Clara Starkier, une mère Ubu à l’affût, tirant les ficelles du tandem. Michelle Brûlé tient le rôle de la journaliste tout en participant à la formation musicale en plateau avec Stéphane Barrière et Virgile Vaugelade. Une sacrée ambiance et un rythme fou. Un public enthousiaste !
En sous-titre, la pièce est qualifiée de « satire politique en comédie musicale ». Sa réussite totale en fait un modèle du genre en plus d’un excellent théâtre d’alerte !
Jean-Pierre Haddad
Avignon Off – Théâtre du Balcon, rue Guillaume Puy, Avignon. Du 5 au 27 juillet, à 18h30.
Une tournée en 25/26/27 avec déjà une dizaine de représentations : Sarlat, Sens, Château-Thierry, Pessac, Jonzac, Bougival, …. – Paris en 2026/2027 (Théâtre d’accueil en cours de discussion)
Site de la Compagnie Starkier : https://www.cieisabellestarkier.fr/
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