Moïse a été abandonné aux bras d’une infirmière blanche, en mal d’enfant, par sa mère une très jeune Comorienne arrivée dans une de ces barques plates qui transportent les migrants clandestins venus des Comores. Moïse grandit, va à l’école, aime lire L’enfant et la rivière, ce conte d’Henri Bosco plein de douceur. Pourtant à l’adolescence il commence à reprocher à sa mère de lui avoir volé sa vraie vie, se détourne du collège et commence à traîner dans le bidonville de Mayotte, que ses habitants nomment Gaza. La mort soudaine de sa mère le laisse brutalement seul dans cet enfer où un ado qui se fait appeler Bruce, comme Batman, se présente comme le roi de Gaza. La rencontre avec un humanitaire qui s’occupe de lui ne le sauvera pas de la violence sauvage de Bruce, au contraire.

Alexandre Zeff a adapté et mis en scène le roman multiprimé de la Mauricienne Natacha Appanah. On retrouve sur scène son récit à cinq voix, sa langue incisive, puissante, dure et rythmée. Le metteur en scène, aidé par l’impressionnante scénographie de Sébastien Gabrié, crée un univers sombre, qu’éclairent quelques rares moments apaisés et poétiques, vite noyés par l’irruption du rouge de la violence, du sang, des agressions, des émeutes. L’usage de la vidéo est magnifique, mer noire dont le calme même est inquiétant, plages sombres où l’ombre des palmiers se fait inquiétante. On est bien loin des images idylliques de lagon. La musique crée et jouée par Yuko Oshima, qui se déchaîne aux percussions perchée en haut de la scène, épouse cet univers de violence.

Les acteurs enfin, sont tous exceptionnellement justes. Mia Delmaë est l’infirmière qui a recueilli Moïse. Elle chante d’une voix douce son amour pour lui et son désespoir d’en être séparée. Il y a ceux qui tentent de se battre contre cette misère et cette violence. Assane Timbo est le policier qui espérait que les images du petit Syrien, dont le corps avait été rendu par la mer sur une plage turque, ferait prendre conscience au monde que le même drame se passait chaque jour à Mayotte. Thomas Durand incarne l’humanitaire qui a choisi Mayotte, alors que tant d’autres préféraient plus d’exotisme et de misère pour leurs actions. Il est plein de bons sentiments et se retrouve assommé par cette violence qu’il ne comprend pas car « c’est tout de même la France ici ». On remarque surtout Mexianu Medenou qui ne mâche pas seulement les mots de Natacha Appanah, il les rappe et ils nous cinglent. Parfait chef de gang, torse nu, chaînes dorées au cou, il ne peut accepter que Moïse échappe au destin qu’il lui a tracé. Grand, musclé, effrayant il est l’ange noir qui règne sur un empire qu’il contrôle, Gaza. Face à lui Alexis Tieno incarne Moïse. Enfant naïf, avec son petit sac à dos de collégien, il va se transformer en adulte. Il utilise à merveille sa formation de danseur, se tordant sous les visions terribles créées par la drogue que lui fournit Bruce, assommé par la douleur, se relevant pour se venger et entrant à son tour dans la violence de Mayotte.

Il y a à Mayotte 200 000 clandestins. Ceux qui ont échappé à la noyade en venant des Comores se retrouvent en majorité sans emploi dans ce bidonville, soumis à la violence des gangs et, en plus aujourd’hui, guettés par l’épidémie de COVID 19. L’État et les media s’intéressent bien peu à cette tragédie. Rien que pour ces raisons, ce spectacle est salutaire. Mais en plus il est magnifique.

Micheline Rousselet

Prévu du 11 au 26 janvier au Théâtre de la Cité Internationale à Paris, déprogrammé en raison du COVID 19

Du 13 au 24 septembre 2021 – Théâtre de la Cité Internationale, Paris – 9 et 10 novembre 2021 – Théâtre Romain Rolland, Villejuif – 11 novembre 2021 – EMC de Saint-Michel-sur-Orge

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