La famille Cochon est une famille normale : un père, une mère et trois enfants : une aînée, un cadet et une benjamine. Trois petits Cochons devenus grands mais pas encore pleinement adultes… et le grand méchant loup qui guette ! La mère chanteuse de cabaret meurt prématurément, le père dégénère, les enfants veulent quitter le foyer, il ira donc en EHPAD. Le grand méchant loup se lèche les babines…
C’est donc un accident malheureux, la mort de la mère, qui provoque l’émancipation des enfants Cochon. Mais chacun doit encore construire sa maison, sa vie. Comment ? Avec quels matériaux, quel ciment existentiel ? Quels assemblages psychiques ? Que faire des peurs, des angoisses, des menaces réelles ou imaginaires ? Et le désir de liberté ? Une chose est sûre, la vie est pleine d’adversité, il faut donc se bâtir une « maison » résistante.
Les trois rejetons de la famille Cochon deviennent les personnages métaphoriques du conte populaire revisité. Déplacement, nouvel éclairage peut-être.
Ce qui est notoire dans cette relecture ou plutôt réécriture, est qu’elle se présente comme un foutoir. Dans cette nouvelle version tout vole en éclats, d’autant plus que l’histoire se double de la théâtralisation des efforts désordonnés en vue de sa transposition sur scène. La mise en abîme du théâtre n’est pas loin de s’abîmer dans les intentions confuses d’un metteur en scène colérique et dépassé. Le monde du théâtre est tout autant en crise que celui de la famille et le metteur en scène en devient la caricature le rôle du père, malmenant voire maltraitant son équipe. Au dehors, les loups sont partout, dans la peau des pères, des chefs, des directeurs, dirigeants, prédateurs patentés par le patriarcat. Mais le territoire est aussi intérieur à chacun et chacune car le grand méchant loup est parfois logé en nous. L’aînée des Cochons prend ses responsabilités mais à s’en rendre malade, proie d’un Surmoi tyrannique sévissant sur soi plus que sur les autres. Obsédée de sécurité, elle travaille à faire de sa maison une vaine forteresse. La benjamine rêve d’une carrière d’artiste comme sa mère. Petit cochon naïf dominé par un Ça qui la fait se jeter allègrement dans la gueule des loups du show-business. Au milieu, le cadet est ballotté entre angoisse et désir de bonheur, son Moi-maison aurait besoin d’être consolidé. Mais le vieux loup est passé par là : « le Moi n’est pas maître en sa propre maison » disait Freud.
Marion Pellissier qui signe la pièce et sa mise en scène, semble prendre plaisir à s’amuser avec la fable et ses niveaux de sens. Ce qui l’intéresse est d’explorer comment frères et sœurs se divisent face au danger, chacun avec son héritage familial symbolique et/ou imaginaire entre inconscience et excès de conscience. Mais son objet est aussi théâtral comme elle l’avoue dans ses intentions : « Dans le conte, les cochons sont souvent des musiciens, et les deux premiers aimeraient jouer avec leur aîné, qui lui, s’acharne à solidifier sa maison. Je souhaite que les Cochons forment une famille d’artistes, et que la frontière entre la fiction et la réalité reste floue, comme dans un rêve. Ce projet naît du désir de mêler de nombreux codes du théâtre, du cinéma et de la littérature, tout en passant d’un genre à l’autre au fil de la narration. Le procédé est à la fois ludique, car le spectateur peut s’amuser à déceler ces codes, mais aussi vertigineux, car cette ode aux artistes s’entremêle avec la fable populaire, nous laissant l’empreinte d’un souvenir d’enfance traversé par une multitude de schémas narratifs. » La Raffinerie est le nom de sa compagnie et le raffinement n’est pas loin. Dans ce joyeux chaos, Yasmine Berthoin, Charlotte Daquet, Julien Derivaz, Steven Fafournoux, Morgan Lloyd Sicard et Sabine Moindrot jouent y compris comme on jouerait à cache-cache ou à « Loup y es-tu ? ». La création lumière de Jason Razoux, celle musicale de Thibault Lamy, la vidéo de Nicolas Comte et les costumes de Julien Derivaz sont de la partie.
Et si le théâtre, maison et grande famille à la fois, redevenait le refuge idéal contre les dangers d’un monde envahi de prédateurs de tout poil ? Pourquoi pas un bastion de la riposte ! Comment tout cela peut-il finir ? Le conte a plusieurs versions et donc plus d’une fin possible. Le feu de paille de la gloire pourrait gagner les planches de bois de la scène, mais si l’édifice tout entier est en briques réfractaires…
Trois petits Cochons sur le grill de la vie !
Jean-Pierre Haddad
Théâtre Joliette, 2 place Henri Verneuil – 13002 Marseille. Du 19 au 22 novembre 2024. Le site de la compagnie : https://www.laraffinerie.eu/
Tournée : les 15, 16 & 17 janvier 2025 au Théâtre Jean Vilar de Montpellier ; les 21, 22 & 23 janvier 2025 au Théâtre Sorano de Toulouse ; les 03 & 04 février 2025 au Théâtre de Châtillon ; les 07, 08 & 09 février, au Centquatre, Paris 75019.
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