Lolita Monga a eu la belle idée pour évoquer trois moments de la vie d’une femme (l’adolescence, la force de l’âge et l’âge mûr ) de juxtaposer trois textes très différents qui pourtant s’emboîtent parfaitement. Le premier « Fugue » extrait du recueil Les cinq Sens de Rémi De Vos raconte la vie d’une adolescente frondeuse, dévergondée qui pour sortir de l’ennui provoque et empoisonne ses parents dans tous les sens du terme. Le deuxième morceau choisi est issu du recueil Serial Killer de Carole Fréchette : à la quarantaine, une femme décide de vendre à distance son corps aux enchères. Dans le troisième « La Pluie » tiré du recueil Pièces courtes 1 de Daniel Keene, une vieille femme, Hanna, raconte comment des gens devant monter dans un train lui ont confié leurs objets personnels qu’elle a entassés dans sa maison en attendant leur retour qui n’aura jamais lieu.
Accompagnée à la guitare par Sébastien Lejeune a.k.a Loya, Lolita Monga joue avec une magnifique présence ces trois âges de femmes dans lesquels elle se reconnaît et qui sont comme des morceaux d’elle-même, du paysage de son propre corps et de sa mémoire. Elle poursuit ainsi le travail de recherche de sa compagnie créée en 2016 à l’île de la Réunion qui questionne des territoires de résistance à travers les cartographies de l’intime. Elle réussit à incarner très subtilement les trois personnages non seulement en changeant de costumes mais aussi de voix et de gestuelle. Dans le premier opus du triptyque, elle fait résonner la violence et la fougue de l’adolescence et nous fait rire. Dans le second, elle nous invite à nous interroger sur les injonctions qui pèsent sur le corps des femmes et sur la société de consommation. Les voix off des clients (Antony Audoux, Quentin Baillot, Marianne Basler, Stéphane Bernard, Albert Delpy et Nine de Montal) comme la vente à distance par visio nous plongent dans un monde déshumanisé et terrifiant où tout contact physique disparaît laissant chacun face à sa solitude. Dans le dernier texte, Lolita Monga nous bouleverse en vieille femme dont la maison où tous les objets qui lui ont été confiés finissent en poussière est l’image de notre disparition inéluctable. On pense aussi forcément à l’exode, aux camps de la mort. Seul espoir qui se dessine à la fin est cette bouteille d’eau de pluie, eau divine que lui a donnée un enfant dont elle finit par se remémorer le visage.
La musique de Sébastien Lejeune a.k.a Loya rythme le texte et relie les trois parties du spectacle.
La présence scénique de la comédienne, la musique, la mise en scène de Laurent Fréchuret assisté d’Olivier Corista, et l’éclairage de Valérie Foury font de ce triptyque un spectacle intime, très touchant.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 26 mars- Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris 1er– Réservation : 01 42 36 00 50 ou billeterie@lesdechargeurs.fr – du mercredi au samedi à 19h15
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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