Mêlant la Traviata de Verdi avec le roman d’Alexandre Dumas, La dame aux camélias, dont le livret de l’opéra est inspiré, jonglant de l’italien chanté au français parlé, qui permet de laisser passer quelques pointes d’humour dans le drame, brouillant la distinction entre instrumentistes et chanteurs, Benjamin Lazar nous offre une Traviata qui laisse le spectateur au bord des larmes.
Un large voile de tulle, un vague brouillard de fumée, des bruits assourdis de conversation, de rires et de verres qui tintent, une fête se déroule sous nos yeux quand démarre l’opéra. Mais en dépit de l’injonction « Buvons… la vie n’est que plaisir », elle a déjà un air funèbre. Alfredo arrive, petit bouquet de fleurs à la main pour déclarer son amour à Violetta, une demi-mondaine qui règne sur les fêtes parisiennes. Celle-ci, en jupe de mousseline légère fendue sur la cuisse se moque gentiment de lui, mais se demande si elle doit dédaigner un amour aussi sincère. La tragédie démarre et la découverte de l’amour n’empêchera pas Violetta de mourir de phtisie.
Benjamin Lazar a choisi de placer le drame dans une atmosphère entre rêve et réalité, où les fêtes même ont un air de fin de fête, et où la débauche n’est pas gaie. Dans ces fumées d’opium, ces petits comprimés du médecin qui promettent l’oubli, ces vases de fleurs un peu fanées qui emplissent la scène lorsque Violetta et Ernesto sont à la campagne pour qu’elle se rétablisse, on sent la recherche du plaisir et de la volupté mais aussi la mort en embuscade. Quand Violetta s’allonge sur la terre de la serre de la villa où elle s’est réfugiée avec Alfredo pour s’échapper de Paris, elle a beau dire « on n’est pas bien là ! », on sourit mais c’est au tombeau qu’on la voit.
Florent Hubert signe des arrangements musicaux habiles où l’opéra, chanté en italien surtitré en français, se mêle aux dialogues et réflexions parlés en français. L’orchestre est réduit à huit instruments et les instrumentistes deviennent chanteurs à l’occasion. Les chanteurs sont aussi ici de parfaits comédiens, Damien Bigourdan (Alfred) en amoureux éperdu, en amant prévenant ou jaloux, Jérôme Billy (Giorgio Germont) en père défendant sa famille bourgeoise puis se laissant aller au remords et Élise Chauvin en servante et amie de Violetta.
Surtout il y a Judith Chemla, qui s’est mise au chant lyrique pour interpréter Violetta. Sa voix délicate et gracieuse va droit au cœur en portant ces airs que tout le monde connaît déjà. Elle quitte le ton narquois de la courtisane pour celui de la femme amoureuse avant de gagner la gravité de celle qui a compris le sort auquel la condamne la société en tant que femme et que courtisane. Elle incarne à la perfection l’innocence perdue, la mort des illusions de celle qui « voulait voler de joie en joie … vivre sa vie libre sur les chaînes du plaisir » et meurt lucide les yeux ouverts. Elle est bouleversante en héroïne « qui méritait un sort meilleur ».
Micheline Rousselet
Jusqu’au 3 octobre aux Bouffes du Nord, 37 bis bd de la Chapelle, 75010 Paris – mardi 12, jeudi 14, vendredi 15, vendredi 22, samedi 23, mardi 26, mercredi 27, vendredi 29, samedi 30 septembre et mardi 3 octobre à 20h – Réservations : 01 46 07 34 50 ou www.bouffesdunord.com
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