Le plus souvent nous les couchons de bonne heure… Et comme ils ne s‘endorment pas facilement, nous leur racontons des histoires. Cette fois, l’enfant ne veut plus des histoires trop connues ou faciles à deviner, il réclame cette histoire, toute noire, celle de la nuit présente qui revient chaque soir tout en restant mystérieuse. Il est même prêt à entrer lui-même dans l’histoire contre les peurs de la nuit, il veut la rencontrer, prendre part à la nuit elle-même, à ses rêves, avec ses noirs aux multiples nuances.
La mère, seule à faire face à cette nuit de tous les possibles échouera à endormir et à retenir l’enfant qui préférera partir main dans la main avec la dame aux mille robes noires. Il souhaite s’évader dans la nuit où aucun songe n’est gris plutôt très coloré ou en noir et blanc, blancheur de certaines nuits sans sommeil mais qui nous éveillent. Le père, lui, rentrera trop tard et l’enfant parti de nuit permettra à la femme et l’homme de se retrouver au creux du lit de cette nuit décidément éclairante. Nuit de bascule, nuit de transition vers un nouveau jour, Grand soir de l’enfant qui grandit.
Mais comment la nuit du Préau vient-elle à nous? Comment nous parle-t-elle sur scène ? Elle a son théâtre d’ombres, elle a sa musique longue comme une insomnie ou une traversée d’une mer incertaine, envoutante, lancinante, inquiétante puis apaisante. Elle a surtout son conte et ses deux conteurs se partageant les personnages sauf celui de l’enfant laissé dans l’ombre de la nuit. Najda Bourgeois aussi précise que charismatique est d’abord la mère… Baptiste Mayoraz, comédien-musicien fait chanter la nuit avec ses archets. La nuit se raconte aussi en diptyque, d’un côté la chambre comme une tente de draps aux jeux d’ombres chinoises, de l’autre un grand cube vide ou plein de noir. L’action racontée passera de jardin à cour en laissant la domesticité pour entrer dans le vaste monde où d’autres ombres joueront encore loin du jour. Dans une telle scénographie les éclairages deviennent des éléments actifs et déterminants de l’intrigue. Saluons donc la maitrise et la création de lumières de Christian Dubet, magicien des rayons lumineux de cette nuit enrobée d’ombres.
La représentation recevait ce jour-là des enfants d’une école élémentaire de Vire. Très impressionnés par les dispositifs scéniques et de lumière, par les voix et ombres de la nuit, ils se sont détendus lors d’un bord de scène où une forêt de petits doigts sagement disciplinés a soudainement éclot des gradins à demi éclairés. Ils ont eu peur, un peu au début et à la fin plus du tout. Peur de la grosse contrebasse, moins du petit violon inoffensif. C’est aussi la vertu du théâtre de nous libérer des non-dits, des cauchemars enfouis.
En sortant, j’ai entendu un adulte qui avait sans doute oublié son enfance au vestiaire du monde des grands se plaindre de la trop longue partition musicale qui sépare la tentative d’endormissement de l’enfant par la mère de la fugue nocturne de l’enfant. Mais ne fallait-il pas tout ce temps pour quitter le giron maternel sécurisant et affronter les horizons aveugles de la nuit où tous les grands sont gris ? Je veux penser que les faiseurs de ce théâtre pour tous, enfant et grands, ont imaginé qu’au contraire il fallait toutes ces minutes de cordes frottées par les archets d’un désir neuf et audacieux pour faire céder les portes sonores de la nuit à l’aventure de la vie. En admettant même la critique, je dirais que tout « défaut » a ses raisons et fait sens. N’oublions pas que les acteurs et le metteur en scène Antoine Hespel, venu en résidence à Vire depuis la belle école du Théâtre National de Strasbourg, sont tous jeunes. L’enfance, ils en sont certes sortis, mais elle n’est pas loin. Peut-être avaient-ils besoin, comme l’enfant du conte, d’un assez long temps de vibration de l’espace scénique pour l’apprivoiser et se donner le courage de nous plonger avec eux dans l’étrange récit d’un mariage poétique entre l’enfance et la nuit noire. Traversée du miroir ? Pour le moins rencontre d’une familière ennemie noire. Exploration de cette moitié de notre vie dont nous devons nous faire une amie pour nous y ressourcer ou y laisser se déployer les danses incongrues et folles des robes noires de nos inconscients. Sans doute que le beau texte de Claudine Galea qui se tient dans l’ombre du spectacle contient-il tous ces ouvertures ou lectures possibles.
Sous le Préau, la nuit des coulisses alimente les diodes luminescentes de nos questions…
Jean-Pierre Haddad
Jeune public, dès 8 ans
Le Préau, Centre National Dramatique de Normandie – Vire, 1 place Castel, 14503, Vire. www.lepreaucdn.fr À Tessy-Bocage, Théâtre des Halles, le mardi 7 décembre à 20h30; à Sourdeval, au Rex, le jeudi 9 décembre à 14h; à Béni-Bocage, Salle des fêtes, samedi 11 décembre à 20h.
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu