Eitan, étudiant en génétique dans une Université de New-York, rencontre Wahida à la Bibliothèque et en tombe amoureux. Elle prépare une thèse retraçant la vie d’un diplomate arabe du XVème siècle qui, fait prisonnier par des corsaires chrétiens au retour d’un pèlerinage à La Mecque, est offert en cadeau au Pape Léon X. Il se convertira sous le nom de Léon l’Africain, vivra en Italie en y enseignant l’arabe et fera connaître l’Afrique à l’Europe. Mais une histoire d’amour entre un jeune homme d’origine juive et une jeune Arabe ne peut être simple. Entre un repas de Pessah catastrophique avec la famille d’Eitan, une visite à Jérusalem auprès de sa grand-mère pour éclairer une question de filiation, un attentat sur le Pont Allenby dont Eitan est victime, et Wahida qui découvre ce qu’est être Arabe en Israël, l’Histoire va leur tomber dessus. Ils vont s’apercevoir que l’on ne tire pas facilement un trait sur la question de l’identité quand elle s’appuie sur des décennies de haines recuites.

Avec cette pièce, qui lui a été inspiré par des conversations avec une historienne juive, Wajdi Mouawad retrouve les questions qui le hantent et le ton de ses premières tragédies. Le lien entre Israël et la Palestine, entre Juifs et Musulmans est tout aussi chargé de domination et de violence que celui entre Chrétiens et Musulmans à l’époque de Léon l’Africain. La question de l’identité est au cœur de la pièce. Eitan et Wahida tentent de résister à cette question mais ce n’est pas possible. Même s’il vit aux États-Unis, son histoire familiale s’impose à Eitan. Il a un grand-père rescapé des camps, une mère est-allemande pétrie de culpabilité à qui ses parents avaient caché ses origines juives, et un père qui se sent à chaque minute membre d’un peuple persécuté et ne peut accepter que son fils aime une non-juive, une Arabe, qui plus est. Quant à Wahida c’est en Israël qu’elle découvre l’humiliation et la violence qui touchent les Palestiniens.

Théâtre : Tous des oiseaux
Théâtre : Tous des oiseaux

Puisque l’essentiel de l’action de la pièce se passe en Israël l’auteur a décidé de faire parler les personnages dans les langues qui les structurent et qui y sont parlées, l’allemand, l’anglais, l’hébreu et l’arabe. Selon les moments c’est l’une ou l’autre qui s’impose et l’on comprend que le choix est porteur d’enjeux. Quand le médecin dit qu’il faut parler à David, le père d’Eitan, victime d’un AVC sa langue maternelle, son père dit l’hébreu et sa mère dit l’arabe.

C’est la vie qui est sur scène avec ses conflits, ses non-dits, qui finissent par exploser avec violence, ses regrets et ses espoirs déçus. Pour sa mise en scène, Wajdi Mouawad s’est cantonné à des espaces clos où les personnages semblent emprisonnés par l’Histoire, une chambre d’hôpital, une salle d’attente emplie de chaises, un poste frontière, un café où la télévision diffuse en boucle des images floues d’attentats. Le théâtre tremble sous l’effet du bruit rugissant des avions de chasse qui survolent la ville. Les acteurs, tous remarquables, sont à l’image de la géographie éclatée de la pièce. C’est une actrice vivant à Paris et née d’un père tunisien et d’une mère flamande, Souheila Yacoub qui interprète Wahida, Jérémie Galiana (Eitan) a étudié à Lyon et à Paris avant de s’installer à Berlin. Raphaël Weinstock (David, le père) est né à Haïfa et a vécu un peu partout en Europe. Judith Rosmair (Norah, la mère) a étudié aux États-Unis et réside en Allemagne. On sent dans leur voix l’écho de leur propre histoire et l’émotion est palpable.

En écrivant ce texte Wajdi Mouawad a pensé au conte persan de L’oiseau amphibie qui l’avait fait rêver quand il était enfant. Un oiseau était fasciné par le monde des poissons nageant dans un lac, si beaux mais si différents de lui. Les autres oiseaux lui ont dit qu’il devait se garder d’eux, qu’ils n’étaient pas de son monde et qu’il mourrait s’il s’en approchait. Il se résigna tristement jusqu’au jour où il plongea et dit aux poissons « je suis l’un des vôtres, l’oiseau amphibie ». Malheureusement l’histoire de Tous des oiseaux ne se termine pas aussi bien. C’est un cri désespéré que lance Eitan : « Nous sommes les héritiers de deux peuples qui ne se réconcilient pas et je ne me consolerai pas ». Pour Wajdi Mouawad, Chrétien libanais à qui on a appris à haïr Israël, le rôle du théâtre c’est d’aller vers « l’ennemi » à l’encontre de sa tribu. Le théâtre ne peut pas apporter la paix mais il peut espérer contribuer à faire revivre ce rêve assassiné auquel on pourrait recommencer à croire en crevant l’abcès de l’Histoire.

Micheline Rousselet

Du mardi au samedi à 19h30, le dimanche à 15h30

Théâtre National de la Colline

15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 44 62 52 52


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