Le collectif OS’O, rassemblant 7 jeunes comédiens, issus de l’École supérieure de théâtre de Bordeaux, a imaginé ce spectacle sur la dette, passionnant et follement inventif, qui a été doublement primé au Festival Impatience de 2015. S’inspirant de deux pièces de Shakespeare – Timon d’Athènes et Titus Andronicus – et d’un texte de l’anthropologue américain David Graeber sur l’histoire de la dette, les jeunes comédiens mis en scène par le metteur en scène berlinois David Czesienski font se croiser deux niveaux de récits, une histoire d’héritage familial et un débat sur la dette, le tout sur fond de citations ou d’allusions au texte de Shakespeare.
Les quatre enfants de la famille Berthelot sont réunis dans le château familial pour l’ouverture du testament de leur père qui vient de mourir. La réunion est perturbée par l’arrivée des deux enfants cachés de leur père, Lorraine et Léonard Marchand, qui espèrent avoir aussi leur part d’héritage. Comme dans Shakespeare, mensonges, dissimulations, trahisons vont présider à cette réunion. Disputes entre enfants légitimes et enfants illégitimes, désaccords dans chaque groupe conduisent comme chez le grand Will à la violence et au meurtre, au moins symbolique ici. La famille Berthelot nous parle d’un père tyrannique et avare qui les obligeait à réciter Timon d’Athènes et les punissait pour chaque erreur, tandis que la famille Marchand trace le portrait d’un père généreux et aimant. Shakespeare est bien là dans les vers cités, dans le portrait double du père et, comme le diable se cache dans les détails et si on connaît parfaitement Shakespeare, on peut s’amuser à trouver de multiples allusions aux deux pièces, l’épitaphe de Timon, les mains bandées comme dans Titus par exemple. Á cela s’ajoute le travail sur la dette de David Graeber. C’est par-là que l’on commence. Un comédien s’avance et dit à la salle : on vous doit Shakespeare, c’est annoncé ! Chaque comédien va donc nous raconter Titus Andronicus, à la vitesse d’un express qui passe, pour nous révéler qu’en fait ce n’est pas ce qu’on verra ! Pour autant peuvent-ils ne pas honorer leur dette ?
Comme sur un plateau de télévision, le débat va commencer. Chaque comédien assis devant un pupitre, prend la parole à son tour avec un temps de parole très étroitement limité. Faut-il payer ses dettes, « oui », « non », « ça dépend », « est-ce pareil s’il s’agit d’une dette morale ou d’une dette financière » ? Le débat avance à cent à l’heure et on rit beaucoup car les répliques fusent. On passe du sens propre au sens figuré par exemple quand un intervenant dit qu’il va rebondir sur ce qui vient d’être dit et que tout le monde bondit sur son siège. On enchaîne avec l’histoire de famille où l’on retrouve la question de la dette – que doit-on aux enfants illégitimes et à celle qui n’est pas la vraie fille du défunt – et les deux pièces de Shakespeare, qui évoquent la dette morale pour l’une et la dette d’argent pour l’autre. Comme chez Shakespeare le collectif OS’O n’hésite pas à flirter avec le Grand Guignol, on se tue beaucoup, le sang coule sur scène, les personnages ont la bave aux lèvres. Puis dans un même élan on revient à la dette, à ce qu’elle implique, à son lien avec la monnaie, au lien de celle-ci avec le marché, le pouvoir et la violence, ce qui justifierait de ne pas la payer (Graeber).
Tout le spectacle est d’une intelligence diabolique. Les comédiens arrivent à croiser avec une extrême précision les différents niveaux de récits. Le public, très jeune le soir où j’y étais, est scotché, se passionne, rit et sort conquis.
Micheline Rousselet
Tous les soirs à 20h30 sauf le dimanche à 16h
Le centquatre
5 rue Curial, 75019 Paris
Réservation : 01 53 35 50 00
Se réclamer du Snes et de cet article : demande de partenariat Réduc’snes en cours
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu