Lier Dom Juan, dont la phrase tirée de la pièce de Molière est dans le titre, avec le film Théorème de Pasolini était une idée excitante. On était donc prêts à suivre Amine Adjina (pour l’écriture et la mise en scène) et Émilie Prévosteau (à la mise en scène) dans ce projet, même si on se disait que la liaison entre Dom Juan, qui détruit toutes les femmes qu’il séduit, et l’Ange exterminateur de Pasolini, qui fait exploser les hypocrisies de la bourgeoisie en révélant ses pulsions cachées, ses mensonges et ses non-dits, n’était pas évidente. Amine Adjina fait le lien en se centrant sur le désir.

On retrouve donc les personnages du film : la mère sexuellement frustrée, faisant à la fin le bilan d’une vie réduite à n’être qu’un trophée pour son mari et une vitrine sociale, le père entrepreneur imprégné des idées d’extrême droite, aspirant à un pouvoir autoritaire tout en refoulant des pulsions homosexuelles, des enfants qui nourrissent des prétentions artistiques, le fils la caméra toujours greffée à la main et la fille s’entraînant physiquement comme pour un marathon à jouer le rôle d’Elvire dans Dom Juan, une grand-mère despotique, ego-centrée parlant cash sans aucun filtre et enfin la servante Nour. Et puis il y a le « garçon », celui que la grand-mère a rencontré sur la plage et invité et qui va, par sa seule présence, dérégler cet équilibre familial brinquebalant.

Les personnages évoluent dans un très beau décor : une grande vidéo de mer bleue en fond de plateau, un salon et un jardin devant une piscine, une chambre, celle de la grand-mère et un escalier qui conduit à l’office où dort Nour que l’on suit sur l’écran vidéo.

Tout paraît calé et pourtant on reste sur sa faim. Ce qu’il y avait de complexe chez Pasolini, avec cet Ange, disparaît. La révélation des hypocrisies familiales bourgeoises perd sa force politique dans le lien hypertrophié avec Dom Juan. Trop de thèmes sont survolés et deviennent caricaturaux : l’apocalypse climatique avec le tremblement de terre final accompagné de sa pluie de confettis noirs tombés des cintres et la mer qui se gonfle de vagues menaçantes ou l’annonce de l’assassinat d’un poète sur la plage, référence lourde, et sans lien avec la pièce, à celui de Pasolini. Restent quelques belles idées, telle la description des jeunes sur la plage comme une menace. Pour le père ce sont des immigrés, donc forcément dangereux, mais ils sont aussi trop attirants sexuellement pour lui comme pour la mère. Nour n’est plus la servante qui finit illuminée dans le film, elle est une femme qui se libère.

Les acteurs se coulent plus ou moins à l’aise dans ces personnages. Danièle Lebrun est magnifique en grand-mère matriarche, parlant sans filtre, autoritaire avec Nour (Claïna Clavaron) puis baissant la garde devant le « garçon ». Marie Oppert, aussi chanteuse lyrique, se libère par un chant qui pousse la salle à l’applaudir. Si Coraly Zahonero (la mère) quitte la caricature par le jugement final qu’elle porte sur sa vie, ce n’est pas le cas du père (Alexandre Pavloff) dont le naufrage final est fort peu convaincant ni d’Adrien Simion (le fils). Reste enfin Birane Ba, le « garçon » qui bouscule le conformisme ambiant. Sa seule présence, les questions qu’il pose sont sensées pousser, l’air de rien, cette famille dans ses retranchements. Mais on a du mal à y croire.

On ne s’ennuie pas, il y a de beaux moments et on rit même parfois, mais on est loin du choc que fut le Théorème de Pasolini. Peut-être attendait-on trop de son actualisation ?

Micheline Rousselet

Jusqu’au 11 mai à la Comédie Française, Vieux Colombier, 21 rue du Vieux Colombier, 75006 Paris – du mercredi au samedi à 20h30, les mardis à 19h, les dimanches à 15h – Réservations : comedie-francaise.fr

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