Cela commence par une anaphore « Dans ma famille on n’a jamais parlé de… ». Dans toutes les familles il y a des sujets essentiels, souvent de l’ordre de l’intime, dont on ne parle pas. Le père de Falk Richter, le grand dramaturge et metteur en scène allemand, avait rompu avec lui au seuil de l’adolescence en raison de son homosexualité et lui avait lancé un « laisse-moi tranquille » quand il avait tenté de renouer le dialogue peu avant son décès. Après sa mort, Falk Richter a convaincu sa mère de participer à son projet The silence. Silence, c’est ce qui n’est pas dit, mais en anglais to silence someone c’est l’empêcher de dire. Et c’est sur ces deux aspects que veut revenir l’auteur en se replongeant dans son enfance et son adolescence. Accompagné par le documentariste Lion Bischof il confronte ses souvenirs à ceux de sa mère, faisant apparaître le passé de cette mère, qu’elle a tu ou reformaté, son père qui la frappait après son retour de captivité et multipliait les liaisons. Il évoque la froideur de ses parents, qui voulaient juste que les enfants soient « gentils », sa sœur mal aimée parce que fille, son père qui l’a sévèrement cogné quand il a appris son homosexualité et l’absence totale de soutien familial, qui renvoie au silence et à l’indifférence auxquels il s’est heurté quand il demandait de l’aide aux passants après avoir été agressé par deux voyous homophobes.
Sur les cinq chapitres de la pièce, les deux premiers sont autobiographiques. L’écrivain y évoque ses souvenirs de la façon la plus précise possible. C’est sa vision. Les chapitres 3 et 4 sont autofictionnels, l’écrivain s’invente un double plus courageux, plus drôle, plus révolté et « plus méchant et anarchiste » que lui, mais qu’il considère tout aussi réel que l’original. Le dernier chapitre, plus faible, « Le requin du Groenland » révèle un homme à la fois isolé et en prise avec le monde, un monde incertain et complexe.
Falk Richter apparaît en personne avec sa mère dans la vidéo. Il dit sa vérité, l’interroge sur ce qui a été tu, pas seulement la sexualité et l’amour mais aussi en quoi les guerres ont influencé les relations familiales. Il n’hésite pas à pointer les contradictions dans ses réponses. Sur le plateau il cède la parole à son ami, son double, Stanislas Nordey. Celui-ci s’adresse les yeux dans les yeux à chaque spectateur, porte l’énergie et l’humour lucide de ce texte, un des plus forts de Falk Richter, qu’il dit avec une rage froide. Quand l’auteur le rejoint pour le salut final, son regard dit à quel point il se reconnaît en lui.
Un texte lucide et percutant sur les ravages des silences familiaux et sur la nécessité de lutter contre l’homophobie, porté par un acteur au sommet de son art.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 6 novembre à la MC 93, 9 boulevard Lénine, 93000 Bobigny – du mardi au vendredi à 19h30, les dimanches 23 octobre et 6 novembre à 15h30, le samedi 29 octobre à 18h, le samedi 5 novembre à 18h30 – Réservations : 01 41 60 72 72 ou mc93.com – Tournée à suivre : Grenoble, Amiens
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