Pour clôturer le cycle Holocène, consacré à des portraits de ville, le collectif flamand BERLIN, autour de Yves Degryze, se consacre logiquement à la ville dont il porte le nom. Tout part de la rencontre des artistes de la compagnie avec un homme âgé, Friedrich Mohr, qui leur raconte une étrange histoire. En avril 1945, il était régisseur de l’Orchestre Philharmonique de Berlin. Alors que Russes et alliés étaient aux portes de Berlin, il craignait la disparition prochaine de cet orchestre rassemblant les plus grands talents et avait pensé qu’il fallait qu’il joue une dernière fois. Comme Berlin était bombardé, il ne pouvait se produire dans une salle de concert. Friedrich Mohr avait alors décidé, avec le chef d’orchestre, de répartir les musiciens dans six bunkers, connectés au chef d’orchestre, pour interpréter les dix minutes de La marche funèbre de Siegfried dans Le crépuscule des Dieux de Wagner. Le projet n’avait pas pu se réaliser.

Face à ce vieux monsieur qui en parlait avec tant de conviction, la Compagnie BERLIN a alors pensé que ce serait un bon sujet pour le dernier épisode de Holocène consacré à Berlin, d’autant plus que dans la conversation, Friedrich Mohr soulevait bien des questions sur l’attitude des Allemands face au nazisme. L’aider à réaliser son rêve apparaissait aussi comme un moyen de révéler leurs processus de création avec un making of de cette aventure. Ils se sont enthousiasmés, ont commencé le travail, convaincu l’Opéra Ballet Vlaanderen pour l’orchestre, trouvé les lieux où jouer, contacté la radio Klara pour la diffusion du concert et tout filmé. Lorsque des failles sont apparues dans le récit de Friedrich Mohr ils se sont interrogés sur l’opportunité de continuer puis ont décidé de le faire. Le mélange du documentaire et de la fiction a toujours été au centre de leur travail. Avec cette histoire on était au cœur de leur problématique, avec la question du rapport au faux. Parfois le faux ne provoque-t-il pas une émotion tout aussi forte, voire plus, que le vrai ?

Comme il s’agit du making of, l’image est en majesté projetée sur des écrans qui se superposent, derrière lesquels on perçoit une corniste qui joue et Yves Degrize et ses collaborateurs devant des consoles son et vidéo. Sur l’écran on voit Berlin filmé aujourd’hui par un drone, on suit Friedrich Mohr chez lui, rencontrant un de ses anciens collègues au Tiergarten, l’équipe discutant du projet dans des lieux divers, les rencontres avec ceux qui vont participer au projet,mais aussi les échanges par messages téléphoniques entre eux et avec les historiens qui cherchent les traces. Les mises en abyme se multiplient et le mystère s’épaissit. Quand l’écran se couvre de mosaïques avec l’orchestre divisé en petits groupes et que l’on entend La marche funèbre de Siegfried, le spectateur se laisse aller à partager l’émotion de cet homme qui vient de dire « Ça ne s’est pas passé, mais mon histoire est vraie !» mais a pourtant réussi à aller au bout de son rêve.

Quand s’arrête le documentaire où commence la fiction, où est le vrai où est le faux ? C’est délicieusement vertigineux !

Micheline Rousselet

Jusqu’au 5 mai au Centquatre- Paris, 5 rue Curial, 75019 Paris – Les 2 et 3 mai à 20h, le 5 mai à 18h – Réservations : 01 53 35 50 00 ou billetterie@104.fr

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