En 1887 la première pièce de Tchekhov, Ivanov est un échec. Il compose alors une courte comédie, qu’il appelle lui-même « une plaisanterie », L’ours . Le gros succès de cette pièce servira de tremplin à la reprise d’ Ivanov, avec succès cette fois, et à la carrière de Tchekhov qui suivra. La demande en mariage est dans la même veine comique et absurde. Dans cette pièce, où pas un mot d’amour n’est prononcé, la demande dérape en querelles incessantes. Dans L’ours un homme venu réclamer avec fureur à une femme un paiement qu’elle lui doit, fond devant l’attitude combative de cette dernière. Les personnages existent, on voit bien les rapports d’argent qui les lient, mais la farce emporte tout. Les femmes ont un rôle majeur dans les deux pièces. Ce sont elles qui mènent le jeu, les hommes se montrant au final plus faibles et prêts à céder.
Tout est excessif dans les deux pièces. Quand le drame approche, le rire n’est jamais bien loin ainsi qu’en témoigne la phrase « Il est mort ! Donne-lui de l’eau et appelle un docteur ! ». On pleure, on rit, on se menace, on se tape dessus, on renverse les tables, on est prêt à s’entre-tuer avant de se réconcilier, le tout avec un excès irrésistible. La traduction d’André Markovitch fait merveille pour imposer un rythme échevelé qu’épouse avec allégresse la mise en scène de Jean-Louis Benoit. Le décor unique – une pièce avec une table, deux chaises, une alcôve et un divan sans compter une porte que l’on claque à tout bout de champ – est un écrin parfait pour que les personnages puissent laisser libre-cours à leur dinguerie. Et Jean-louis Benoit a su trouver les acteurs qui excellent dans ce registre. Dans La demande en mariage, Emeline Bayart prend l’air réjoui à l’annonce de la visite de son prétendant avant de se lancer, toute réserve abandonnée, dans une succession de querelles où elle trouve toutes les raisons pour s’opposer à lui avec une véhémence furieuse. Elle hurle, elle est au bord de l’apoplexie et quand elle se calme, l’éruption à venir est bien proche. Dans la seconde pièce elle passe du rôle de digne veuve enfermée dans son chagrin à celui de femme déterminée à en découdre, toujours dans l’excès absolu. Elle est formidable et ses partenaires lui donnent la réplique avec la même folie. Manuel Le Lièvre est ce prétendant, prêt à se marier car il se rend compte que l’âge avance, et qui se déchaîne quand il s’agit de revendiquer contre celle qu’il veut épouser la propriété d’un bien, ce qui au demeurant n’aura aucune importance s’ils se marient ! Il s’empourpre, geint sur sa santé, sur ses douleurs, est prêt à mourir sans céder et quand tout semble s’apaiser la querelle rebondit avec vigueur. Dans L’ours Jean-Paul Farré abandonne sa furie de créancier excédé par le choix de sa débitrice, qui veut bien payer mais dans deux jours seulement alors qu’il veut l’argent tout de suite, se laisse séduire par la fureur de sa débitrice et lui fait à genoux sa demande, le tout avec l’excès qui convient !
Un petit bijou qui déchaîne l’hilarité de la salle.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 17h30
Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse, 75006 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 50 60 67
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