Macha Makeïeff nous livre sa vision de Tartuffe. Pour elle, ce que révèle Tartuffe, au-delà de la question de l’hypocrisie religieuse, c’est l’emprise d’un manipulateur faux-dévôt sur une famille bourgeoise en voie d’explosion. L’emprise peut avoir quelque chose de mystérieux, comme dans le film Théorème de Pasolini auquel fait allusion le titre donné à son spectacle par Macha Makeïeff.  L’irruption d’un inconnu provoque un bouleversement destructeur dans une famille qu’habitait le vide et qui croit le combler grâce à lui. La metteuse en scène fait de Tartuffe cet envoyé. Comme le chef d’une secte, il profite de cette famille pour prendre Orgon et sa mère dans ses filets et capter sa fortune, Orgon allant jusqu’à déshériter femme et enfants au profit de Tartuffe. L’emprise renvoie aussi au mouvement MeToo et les avances de Tartuffe à Elmire relèveront plus du viol que d’une cour pressante. Comme dans le film de Pasolini le désir fera tanguer la mécanique bourgeoise, Tartuffe jouant de toutes les armes, menace mais aussi séduction.

Macha Makeïeff signe la mise en scène et les décors et costumes, années 60, aux couleurs acidulées. Orgon est en costume crème, Elmire porte une robe fuschia, Elmire un peignoir de soie vert et Tartuffe inquiétant à souhait une sorte de soutane-robe noire. Très inspirée par le cinéma, on trouve dans la mise en scène des références à Théorème mais aussi à Don Giovanni ou à Orange mécanique quand les jeunes, le fils d’Orgon et le prétendant de sa fille, balancent des clubs de golf comme un signe de leur violente exaspération face à l’attitude déraisonnable de leur père. Soulignant l’idée d’emprise par une secte, elle place sur scène des personnages muets sortes d’assistants inquiétants de Tartuffe, dispersant sur la scène des corbeaux empaillés, soulignant la menace qui plane sur la famille.

L’interprétation est inégale. Le choix de Jeanne-Marie Levy, comédienne mais aussi chanteuse lyrique, pour le rôle de Madame Pernelle, la femme d’Orgon est une très bonne idée. Sa voix s’élève dans des emportements de soprano qui renforce l’impression que dans cette famille il y a quelque chose de détraqué et crée un effet comique que la salle apprécie. Par contre Jin Xuan Mao dans le rôle de Cléante est parfois incompréhensible. Pascal Ternisien, en servante muette rappelle les Deschiens et est absolument désopilant. Vincent Winterhalter (en alternance avec Arthur Igual) incarne un Orgon sous emprise oscillant entre la fascination pour Tartuffe, l’égoïsme et l’autoritarisme du patriarche, et la faiblesse d’un homme vaincu par sa bêtise.  Hélène Bressiant joue avec talent une Elmire, désespérée par l’attitude de son époux, qui joue l’attirance pour Tartuffe pour sortir du piège. Peut-être un peu désirante au début, on la voit devenir inquiète face à l’enjeu de la scène de séduction qu’elle doit jouer pour démasquer Tartuffe. Xavier Gallais donne à Tartuffe un côté fuyant et un peu inconsistant au début de la pièce. Jouant des silences, il laisse Orgon ou Madame Pernelle vanter ses mérites, mais va se révéler de plus en plus inquiétant au fur et à mesure que la pièce avance jusqu’à devenir terrifiant à la fin.  

Pour autant on ne peut s’empêcher de penser que le parti-pris de la metteuse en scène de mettre au centre de sa création la question du désir, de l’emprise et du consentement fausse l’esprit de la pièce de Molière. C’est la dénonciation des faux-dévôts qui est au centre du propos de Molière et qui lui vaudra d’être censuré. Certes le texte est là, mais cette dénonciation passe au second plan et, même s’il est toujours intéressant de découvrir un nouveau point de vue dans une mise en scène, on peut le déplorer.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 19 décembre au Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, 75010 Paris – du mardi au samedi à 20h30, les dimanche 12 et 19 à 16h –

Réservations : 01 46 07 34 50 ou www.bouffesdunord.com

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