L’Argentin de Paris qu’est Marcial di Fonzo Bo nous conduit dans une milonga un peu surannée, un de ces bars où les couples se font et se défont au rythme du tango. Une française, Jeanne, vient y chercher la clé des mystères de son père argentin, exilé à Paris au temps de la dictature, et aussi l’oubli d’un amour enfui. Il y a là un habitué taciturne Juan, elle observe les danseurs, elle veut tout apprendre du tango et de l’Argentine, et elle pose des questions.

Au centre du projet il y a le tango, une danse d’hommes au départ, avec ses clichés machos, l’homme qui impose son rythme à la femme d’une main ferme, mais aussi une danse où les femmes inventent une complexité virtuose des pas. Une musique vive et en même temps mélancolique, qui parle de la perte de l’amour, de la fragilité des hommes et de leur peur des femmes, cachée derrière une bravoure surjouée.

Pour ce spectacle, Marcial di Fonzo Bo a fait appel à Philippe Cohen Solal et son groupe d’électrotango Gotan Project pour la musique, et, pour le texte, à l’écrivain argentin Santiago Amigorena. C’est dans un Buenos Aires rêvé, celui imprimé dans leur mémoire d’Argentins installés en France, qu’il nous emmène. Le passé et le présent, Juan d’hier et Juan d’aujourd’hui, se mêlent au rythme du tango.

C’est en projetant, sur un rideau de perles, des images des rues de Buenos Aires d’hier et d’aujourd’hui – celles d’enfants soufflant les bougies d’un gâteau d’anniversaire d’autrefois, mais aussi des images des arrestations pendant la dictature et des mères de la Place de mai – que le metteur en scène crée l’image floue de la ville de son passé. Des couples se forment, dansent et quand le rideau est tiré on entre dans la milonga d’aujourd’hui avec son vieux serveur, rangeant les chaises torchon sur l’épaule, Juan assis dans un coin ou accoudé au bar et ces couples qui changent de partenaire et dansent jusqu’à l’épuisement.

Le texte de Santiago Amigorena, où le français se teinte d’espagnol, célèbre la poésie du tango, la mélancolie de l’exil, l’amour, « affaire de mots ou de peau », la nostalgie des souvenirs que l’on n’oublie pas, car « on ne possède éternellement que ce que l’on a perdu ».

On peut regretter la fadeur de Rebecca Marder peu convaincante dans le rôle de Jeanne. Il lui manque le tragique et la passion qui animent la voix de Cristina Vilallonga chantant « un amour plus fragile que le cristal », et parlant du tango comme « d’une pensée triste qui se danse ». Elle porte merveilleusement la musique de Philippe Cohen Solal, accompagnée par la plainte des instruments traditionnels du tango, le bandonéon de Victor Villena et le violon de Aurélie Gallois. Le musicien y a aussi parfois mêlé des rythmes technos, pour réunir l’atmosphère des vieilles milongas de Buenos Aires et celle des clubs plus modernes où tous peuvent danser.

La chorégraphie et les danseurs sont au cœur du spectacle, car le tango est avant-tout une danse. Ils sont magnifiques. Rappelant les origines du tango des hommes s’approchent, se frôlent, se provoquent, se fuient. Les couples rivalisent de vivacité, de virtuosité. Sous leurs pas le tango peut devenir acrobatique, simple ou d’une complexité savante mais toujours d’une beauté et d’une sensualité fascinantes.

Tango mort et tango qui vit, un superbe hymne au tango et à Buenos Aires.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 27 mai au Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris – du mardi au samedi à 20h30, les dimanches à 15h, le samedi 27 mai à 18h30, Relâche les lundis et le 18mai – Réservations : 01 44 95 98 21 ou theatredurondpoint.fr

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