Un tandem, c’est un vélo à deux places. Problème : deux selles et deux pédaliers mais un seul guidon ! Qui va conduire, comment et vers où ? Qui choisit la destination ? Et d’abord, qui décide celui ou celle qui occupera la place de devant ? Comme il s’agit de couples hétérosexuels d’avant la révolution féministe actuelle et d’avant la critique des normes de genres, on devine aisément la réponse ! L’homme qui est mollets et tête alors que la femme ne serait que mollets, galbés de préférence.

La radio-scopie de plusieurs tandems célèbres, tel est le propos de l’émission de radio Tandem qui n’invite cependant en studio que les mâles de ces duos. Joséphine Chaffin, autrice du texte (hormis les extraits d’archives sonores) assume le rôle d’animatrice de l’émission à la voix suavement travaillée. Elle est aussi metteuse en scène de la pièce avec Clément Carabédian également partenaire de jeu – Celui-ci endosse tous les rôles masculins des tandems puisque ces messieurs pédalent en tête ! Tous deux forment-ils un tandem de vie et de création théâtrale ? L’émission de radio plutôt délurée à laquelle on assiste fouille dans l’intimité d’une dizaine de couples mais ne donne aucun scoop aux auditeurices sur Joséphine et Clément. En revanche, les rapports amoureux et de travail assumés ou cachés entre Gustave Mahler et sa femme Alma Schindler également compositrice, Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle, Scott Fitzgerald et Zelda, Gainsbourg et Birkin ou bien Richard Burton et Élizabeth Taylor et d’autres encore sont passés au scalpel aiguisé de l’animatrice. Le tandem résiste-t-il à l’épreuve d’endurance de la vie de couple ? Parfois oui, parfois non. La machine peut tirer à hue et à dia ou même se scinder très vite en deux vélos distincts, arrive alors le moment où les cyclistes bifurquent !

Le projet d’une radio imaginaire en lieu et place d’une pièce de théâtre est sympathique, les codes sont respectés et la réalisation efficace, avec une création sonore de Louis Dulac qui assure le rôle de régisseur radio et une création lumière de Mathilde Domarle. Toutefois, il y a radio et radio, toutes ne ciblent pas le même public, ne mettent pas la barre au même niveau, Europe 1 n’est pas France Culture par exemple. Dans le studio-plateau de Tandem, on passe assez ou trop vite sur chaque couple, certains n’étant pas représentés mais juste évoqués-convoqués en voix off. Peut-être que l’émission aurait dû exiger de la rédaction un autre format et horaire que ce créneau nocturne trop étroit ou se limiter dans les invités et approfondir les entretiens… On pourrait s’attendre à une mise en abîme du sujet avec sur scène une relation de tandem entre la journaliste et le régisseur.

Alchimie de la fusion ou rivalité des égos dans la vie quotidienne et/ou dans la création, telles sont les deux bornes entre lesquelles oscillent les rapports genrés des tandems retenus. Bien évidemment, la démonstration du sexisme, du masculinisme et de l’invisibilisation des compagnes se produit sans difficulté sous l’effet des questions de l’animatrice puisque les génies de l’art n’échappent pas pour autant aux normes sociales de leur époque inconsciemment intériorisées.

Entre imaginaire radiophonique et réalité théâtrale, un sentiment de légère frustration peut naitre dans le public au moment où l’on « rend l’antenne ». Le théâtre plus que la radio ne devrait-il pas nous offrir le luxe de l’approfondissement, de la complexité et de la réflexivité ?

Allez-y pour voir… ou écouter ! 

Jean-Pierre Haddad

Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs 75001 Paris. Du 4 au 28 janvier 2023 et du mercredi au samedi à 21h. Infos et réservations au 01 42 36 00 02 ou https://www.lesdechargeurs.fr/spectacles/tandem-radio-imaginaire/


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