En 1571 la République de Venise commande à une femme peintre, Galactia, un tableau monumental destiné à célébrer la victoire de Lépante, que la Sainte Ligue vient de remporter sur l’Empire ottoman. Alors que le Doge attend un tableau à la gloire de la Sérénissime, Galactia peint les horreurs de la guerre, les chairs en lambeaux, les morts, les blessés, les hommes estropiés. Elle dit qu’elle se méfie de la beauté et des héros. Ce qu’elle veut peindre c’est la colère, la douleur des hommes. Elle veut inventer « un rouge qui pue ». À la liberté de l’artiste qu’elle revendique le Doge oppose la commande de l’État et le Cardinal dénonce l’absence de glorification de la victoire de la foi. La misogynie ne tarde pas à pointer son nez dans l’affaire. Galactia est une femme libre. Elle a un amant, peintre comme elle, mais qui se contente de peindre des tableaux religieux. Elle a une fille qui peint des tissus. Elle veut plus ! Elle est prête à aller jusqu’au bout pour défendre sa conception de l’art et peindre la réalité de la guerre et tant pis pour les conséquences. C’est le Doge qui a soutenu sa candidature, alors qu’il la savait peu conformiste, et ce tableau le met en danger. Si l’on ajoute la présence d’une critique d’art qui soutient Galactia tout en lui montrant les enjeux politiques du tableau qu’elle a réalisé, on a dans la pièce tous les ingrédients d’une réflexion sur les enjeux de l’art, son instrumentalisation, les rapports de l’artiste à ses commanditaires et la question du statut de l’artiste surtout quand il s’agit d’une femme.
Le texte d’Howard Barker est très riche. Autour de Galactia, pour lequel l’auteur s’est inspirée d’Artemisia Gentileschi, qui au début du dix-septième siècle a osé une peinture affranchie de nombreux tabous de son époque, gravitent des personnages qui donnent vie à ce qui n’a rien d’un discours didactique sur l’art. La langue de l’auteur est crue, brutale, dépourvue d’afféterie comme l’est son héroïne.
La mise en scène de Claudia Stavisky est ample et chargée de sens. L’atelier du peintre est vaste comme il sied à la réalisation d’un tableau aussi monumental, tandis que le Palais ducal est représenté par un petit décor dessiné. On ne verra pas le tableau mais une draperie rouge immense qui noie la scène et les personnages comme des flots de sang. Il fallait surtout une actrice puissante qui ose l’excès, dans sa passion pour son amant Carpeta comme dans ses choix artistiques, une femme qui ne craint pas de tenir tête aux puissants et n’hésite pas à dire crûment les choses. Christiane Cohendy est impressionnante dans le rôle. Face à elle Philippe Magnan campe un Doge opportuniste. D’abord ulcéré par ce qu’il voit – rien de glorieux et plus encore son frère l’Amiral présenté trop petit avec des doigts comme des griffes – il se laisse prendre par la force du tableau et voit tout le parti qu’il peut en tirer. Julie Recoing a l’élégance et l’intelligence de la critique d’art qui saura convaincre le Doge. David Ayala incarne un Carpeta capable de comprendre le talent supérieur au sien de Galactia et d’aimer cette femme pourtant arrogante, violente et qui ne supporte pas la conciliation.
Un texte beau et intelligent servi par une mise en scène et une interprétation remarquables.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 44 95 98 21
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