Le point de départ pour Serge Nicolaï, vieux compagnon de route du Théâtre du Soleil, était de travailler avec des masques Nô, des masques puissants qui évoquent la mort. Il s’est ensuite mis à la recherche d’un texte japonais et a rencontré Les belles endormies, le sublime roman de Yasunari Kawabata, prix Nobel de littérature 1968. Des hommes très âgés, prêts à mourir sont accueillis dans une maison où ils peuvent s’allonger auprès de jeunes filles profondément endormies. Ils n’ont le droit que d’observer ces belles endormies. Elles vont faire revivre, dans l’esprit de ces hommes fatigués et au seuil de la mort, le fantôme des femmes qu’ils ont aimées, mères, épouses ou amantes.

Dans Sleeping, toute l’histoire est vécue dans le cerveau d’un homme âgé, Eguchi, qui doucement s’éteint dans une structure moderne en Suisse qu’il a choisie pour accompagner son départ.

Serge Nicolaï a confié le rôle de cet homme à Yoshi Oïda, le comédien japonais que Peter Brook a beaucoup utilisé en particulier dans le Mahabarata. Il fait apparaître bouleversante la vieillesse d’Eguchi et son acceptation de la mort. Le comédien en a l’âge, les mouvements lents et glissés, la fragilité et la délicatesse.

La mise en scène de Serge Nicolaï mêle avec grâce et subtilité, dans une lumière crépusculaire, la modernité de la clinique et la tradition japonaise. On passe d’une langue à l’autre, on glisse d’un univers à l’autre, les infirmières passent silencieuses, une jeune fille nue apparaît allongée sur le sol tandis que l’hôtesse de la maison des belles endormies rappelle les règles. Les souvenirs se réveillent, une femme passe jugée sur de hautes socques, ombrelle rouge à la main, masque Nô sur le visage, un souvenir d’il y a cinquante ans. La mémoire se nourrit de visions, rues des quartiers de plaisir au Japon, de sons, bruit du vent, de la pluie, des vagues. Les fantômes du passé, images sensuelles ou cauchemardesques, se teintent de regrets et de remords. Que reste-t-il des femmes aimées quand leur souvenir meurt avec nous ? Et comment accepter de mourir ?  

Sur le plateau un sol noir brillant comme de l’eau, sur le mur du fond de splendides images vidéo, ciels ponctués de nuage comme dans les encres japonaises, lumières des villes, vagues abstraites.

En faisant appel aux masques Nô, à la musique jouée par Matthieu Rauchvarger, à la danse et à la vidéo, Serge Nicolaï crée un univers délicat, d’une beauté subtile pour accompagner cette traversée onirique où vivants et morts se rejoignent autour du très grand acteur qu’est Yoshi Oïda. C’est magnifique.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 6 novembre au Monfort – 106 rue Brancion, 75015 Paris – tous les soirs à 20h30, sauf le 1er novembre, le dimanche à 16h – Réservations : 01 56 08 33 88 – Le 13 novembre au Théâtre de la Madeleine à Troyes

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