Une énième évocation du personnage si emblématique de Simone Veil (1927-2017) pourrait-elle nous apprendre quelque chose ? Nous savons déjà qu’elle représente le consensus républicain, aussi nécessaire à nos instituions que rare. Nous connaissons son féminisme humaniste et universaliste qui, par-delà les approches militantes, fait d’elle un symbole international de la lutte pour les droits des femmes. Nous connaissons son histoire tragique croisant la Shoah et nous savons à quel point elle a été le symbole de la réconciliation en Europe…
Tout cela figure dans le spectacle d’Arnaud Aubert, mais loin des images d’Épinal, sa mise en scène nous donne accès à une Simone Veil intime, rencontrée en privé. Pourtant, les textes sont tous issus d’archives, d’entretiens authentiques. Le mérite du spectacle est donc dans l’intelligence de ses choix et agencements.
La surprise de Simone en aparté est bien éthique et esthétique. Nous découvrons une Simone Veil vue depuis sa thébaïde normande. Enfant, Arnaud Aubert habitait non loin de Champ sombre en Pays d’Auge, un lieu-dit où durant quarante-cinq ans Simone est venue se reposer, en famille, de sa vie parisienne politique, médiatique et mondaine, dans une demeure au cœur d’un vallon. Le côté normand de cette femme si mondialement connue est plutôt méconnu. Sait-on par exemple que la bibliothèque personnelle de Simone et Antoine Veil a été léguée à la bibliothèque de Cambremer en Normandie ? Et ce n’est pas un hasard si l’autobiographie de la célèbre femme politique s’intitule Une vie, « Maupassant, Maupassant que j’aime, ne m’en voudra pas d’avoir emprunté le titre d’un de ses plus jolis romans pour décrire un parcours qui ne doit rien à la fiction » disait-elle.
Vue depuis Champ sombre, baignée d’une lumière en clairs-obscurs d’Estelle Ryba, nous rencontrons une Simone loin des projecteurs de la capitale, détendue, sereine, libre de tout regard – les nôtres étant les seuls admis au titre de leur écoute. Dans l’intimité, cette femme que nous redécouvrons évoque tous les moments de sa vie, mais dans le désordre sympathique de souvenirs accompagnant son quotidien. Faisant une toilette après avoir jardiné ; assise par terre et enroulée dans une couverture protectrice quand elle parle de la déportation des juifs d’Europe, d’Auschwitz qui a broyé sa famille et l’a privée de sa gaîté d’enfant; esquissant quelques pas de danse ou encore se laissant aller à des attitudes décontractées sur un objet scénique très insolite. Grande trouvaille de la scénographie d’Hervé Mazelin, un objet multifonctionnel se métamorphosant au gré des éclairages et usages : tantôt transat de plage, elle n’est pas loin avec ses vagues; tantôt toboggan faisant place à l’enfance; tantôt tribune de l’Assemblée, pour le fameux discours du 26 novembre 1974 présentant la loi sur l’avortement ; ou encore simple lit, mais un lit à vivre de jour, pour s’y délasser, y lire, y travailler le dimanche, y bavarder avec une amie, ou encore accueillir les enfants au réveil. Par moment, cette œuvre plastique devient écran nous renvoyant en boomerang des images poétiques sonorisées qui nous emportent dans le sac et le ressac du récit. Contrastant avec la courbure de l’objet, trois colonnes aux couleurs changeantes suggèrent les hauts lieux du pouvoir ou celles du Panthéon…
La belle et sobre mise en scène d’Arnaud Aubert articule avec rythme et finesse la verticalité des hautes fonctions d’une personnalité publique hors du commun avec l’horizontalité d’une vie domestique simplement humaine. La proposition du Tanit Théâtre trace les obliques d’une confidence reliant entre elles les multiples facettes de l’exceptionnel destin de Simone Veil. La femme réelle, et non son icône, se révèle alors aussi libre que droite, aussi joueuse que sérieuse, aussi normale qu’originale, aussi consensuelle que contestataire, femme d’action et d’esprit et surtout de cœur. Comment jouer un tel personnage ? C’est là que nous devons saluer la prestation remarquable de Sophie Caritté déployant un jeu à la fois charismatique et humble. La comédienne, qui est aussi danseuse, sait mettre le poids qu’il faut et la nécessaire légèreté dans une interprétation aussi forte que subtile de la grande dame que fut aussi Simone Veil. Par moment nous avons l’impression non pas tant d’une ressemblance physique, quoique la chevelure y soit, mais d’une analogie de silhouette et de présence. C’est la magie du bon théâtre qui parvient à réinventer le réel !
Cette Simone Veil, la connaissions-nous, l’avions-nous déjà écoutée nous parler en aparté ?
Jean-Pierre Haddad
Théâtre de Lisieux, Normandie. Plusieurs dates en novembre et décembre, réservations au 02 31 61 12 13 et http://lisieux-normandie.fr/theatre/
Tournée en décentralisation, dates, lieux et réservations sur le site de la compagnie Tanit Théâtre :
https://www.tanit-theatre.com/creation/creation-tanit-theatre-simone-en-aparte/
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