culture/théatre

C’est au Festival d’Avignon en juillet, où faisait salle comble sa plus récente création, conçue en résidence au Théâtre de la Cx Rousse à Lyon [[Pour connaître la programmation actuelle de ce Théâtre partenaire réduc’snes : www.croix-rousse.com]], que nous avons rencontré Abdel SEFSAF (voir ci-dessous l’extrait de notre entretien). Sur fond d’actualité brûlante, de  »crise des migrants » qu’Abdel décrit non comme une crise mais  »une fuite de la mort », Si loin si proche est une belle création théâtrale et musicale, parfois grave, mais toujours chargée autant d’émotion que d’humour, pour une part autobiographique, sur le rêve du “retour au pays ».

culture/théâtre
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Dans cette autocomédie musicale, en forme de récit croisé et chanté entre passé et présent, illusion et réalité, où les valises en carton s’empilent comme des boîtes à musique devant des stèles, le spectateur est conduit, dans une estafette déglinguée pleine de souvenirs jaunis par les années, à cheminer à travers l’évocation d’un voyage épique pour un éphémère retour au pays des origines familiales à l’occasion du mariage du fils aîné. C’est une épopée à la charnière du moment symbolique caractérisé par l’auteur comme étant celui du retour impossible, celui où ces enfants de migrants « cesseront d’être des immigrés de deuxième génération pour devenir des  »français du futur » [[sous cette appellation, qui est aussi le nom donné à une de ses chansons, la compagnie développe depuis plusieurs mois un travail auprès des écoles, collèges, lycées, encourageant chacun à se projeter, en particulier par l’écriture, la chanson… en s’interrogeant sur ce qu’il sera dans 10 ans]] »…
Lise Bergeron et Philippe Laville

LA MAISON DES MÉTALLOS
94, rue Jean-Pierre Timbaud – 75011 Paris
Métro Couronnes ou Parmentier – Bus 96
www.maisondesmetallos.paris
du 18 au 23 décembre 2018 mardi, mercredi, vendredi à 20h
jeudi, samedi à 19h; dimanche 16h
à partir de 12 ans – durée 1h15

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 47 00 25 20

culture/theatre
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Texte (publié aux éditions Lansman, 7/2018, 40 pages, 10€) et mise en scène :Abdelwaheb Sefsaf, co-mise en scène Marion Guerrero
avec Abdelwaheb Sefsaf (comédien, chanteur), Georges Baux (claviers, guitare, chœur), Nestor Kéa (live-machine, guitare, theremin, chœur)
musique Aligator (Baux/Sefsaf/Kéa)

Tournée de « Si loin, si proche » en 2019 :
2 février : Théâtre de Tarare (69)
7 et 8 février : Comédie de Saint-Etienne, à la Salle A.Camus du Chambon-Feugerolles (42)
8 > 10 mars : Théâtre de Privas (07)
5 avril : Goussainville (95) – Théâtre Sarah Bernhardt

Qu’est-ce qu’ « Aligator » ?
Abdel Sefsaf est aussi un grand musicien, compositeur et interprète, coup de cœur de la chanson française de l’académie Charles Cros en 2004, après 400 concerts et 2 albums avec le groupe Dezoriental.
album_aligator_groupe-reduit.jpg Après avoir fondé en 2010 la Cie Nomade In France interrogeant la rencontre théâtre et musique au cœur des écritures contemporaines, c’est avec Georges Baux qu’il compose chansons et musiques de ses spectacles et fonde en 2015 le groupe Aligator (www.aligator.fr ) rejoint en 2018 par Nestor Kea pour  »Si loin si proche » dont les styles musicaux nous transportent au-delà des souvenirs et des frontières, comme pour nous relier malgré nos différences, au son merveilleux d’instruments atemporels qui suspendent leur vol : la darbouka, la thérémine et le clavier entre les mains des trois joyeux drilles en harmonie. LB – PL

Entretien avec Abdelwaheb Sefsaf

Pourquoi en ce moment se tourner vers le passé pour évoquer le présent ?
Si loin si proche est avant tout née du contexte actuel, de la manière dont est traitée ce qui est présentée comme une  »crise » des migrants, qui ne feraient que passer avant d’aller plus loin ou de retourner chez eux.
Je voulais faire comprendre à ceux qui parfois donnent l’impression d’avoir oublié ce qui est fondamental, que ce n’est pas une crise, que ces gens fuient une vie impossible, la guerre, la mort, la tragédie… et la scénographie avec les tombes en début de spectacle est là pour le rappeler, avant de se retourner et devenir valises pour laisser place à la vie.
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Mais il s’agit aussi de dire aux migrants que, dans la plupart des cas, partir c’est ne jamais revenir ! … ce qu’on aurait peut-être apprécié d’entendre, avec l’expérience des migrations précédentes, lorsque ces générations que j’évoque dans le spectacle, ces maghrébins venus en France dans les années 50-60 imaginaient retourner dans leurs pays d’origine après une vingtaine d’année à avoir suffisamment mis de côté pour construire la maison au bled et repartir… On a vécu une sorte de mirage en entendant pendant toute notre enfance et adolescence qu’il ne fallait pas s’attacher à la France puisqu’on allait de toute manière retourner en Algérie. On disait « les Français », et nous, les enfants d’immigrés on était sensé n’être que de passage, en oubliant le fondamental, qu’on était né en France. Mes parents, comme tant d’autres, avaient oublié qu’en ayant des enfants en France, c’était autant de racines qui les attachaient à cette terre et qui faisaient plus tard que ce retour était totalement impossible. Et même pour ceux qui n’étaient pas nés en France, le retour du migrant est souvent resté un rêve, un projet planifié en oubliant que la planification ce n’est pas la vie, qui n’est faite que de rencontres, d’attaches, d’accidents de parcours qui en constituent aussi la richesse…
La scénographie exprime aussi que la vie prend toujours le dessus mais, en toile de fond, que le retour de nos parents se fait le plus souvent que les deux pieds devant et sans avoir compris que leur espoir de revivre sur la terre des ancêtres n’était qu’une illusion… Le propos de Si loin si proche nous ramène des années 50/60 à la Syrie d’aujourd’hui et je suis sidéré par notre absence de réaction, notre manque de courage pour défendre la population, je suis honteux de voir comment on accueille ces gens-là et d’autres qui sont dans une telle détresse, d’autant que j’ai eu la chance de connaître leur sens de l’hospitalité…

Pourquoi ta pièce évoque peu la montée du racisme, de la xénophobie, déjà ancienne mais s’aggravant considérablement en Europe ?
J’en parle dans le dossier pédagogique mais je n’ai pas pu intégrer dans le récit cette montée dans les années 74, avec les ratonnades… qui avaient donné lieu alors à ce film magnifique sur le racisme ordinaire : Dupont Lajoie d’Yves Boisset. Je parle aussi de Prends 10000 balles et casse-toi de Mahmoud Zemmouri dans les années 80. On nous encourageait alors à retourner au bled avec la « brique » que Giscard proposait, alors qu’on ne connaissait que la vie de citadin dans de grandes agglomérations…
Finalement dans les années 80 c’était plus simple, on pouvait considérer qu’il y avait de bons immigrés travailleurs et quelques français racistes, mais aujourd’hui certains fils d’immigrés au chômage ne savent plus où ils en sont et peuvent être tentés par une dérive d’extrémisme religieux, de radicalisation pouvant aller dans toutes les directions… tandis que les mêmes racistes existent toujours et se sont même multipliés. Dans les attentats terroristes il y a un phénomène complexe inquiétant, d’intégrismes pas toujours explicables après avoir été parfois trafiquants… avec des trajectoires de gamins sans repères, pleines de blessures et de non dits, de ressentiments… en particulier par rapport à l’histoire de la colonisation et décolonisation.
Avec Si loin si proche on revient un peu en arrière, pour détricoter le passé, le comprendre sans que ce soit une démarche passéiste. L’œuvre d’art peut avoir une vertu soignante en permettant d’exprimer des souvenirs même douloureux pour cicatriser des blessures et mieux comprendre le présent.

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Photos du spectacle illustrant cet article © Renaud Vézin

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