Dans Italienne scène et orchestre, Jean-François Sivadier s’en prenait gaiement à l’opéra. Sa mise en scène de Don Giovanni à Aix en 2017 avait marqué les esprits. Toujours intéressé par la création musicale, avec Sentinelles, inspiré par la lecture du Naufragé de Thomas Bernhard, il interroge les rapports de trois pianistes au monde.

Au début de la pièce, deux des personnages se retrouvent devant un amphi rempli d’étudiants pour une conférence. L’un est Raphaël (Julien Romelard), directeur de l’école de musique, l’autre, Mathis (Vincent Guédon), l’invité, un pianiste de génie, librement inspiré par Glenn Gould. On comprend très vite qu’ils se connaissent et on bascule aussitôt dans leur passé commun, dans lequel apparaît un troisième personnage Swan (Samy Zerrouki). Ils vont évoquer leurs premières découvertes du piano, dans l’enfance, sous l’influence du père, pour Raphaël, de la mère pour Mathis. Pianiste virtuose jalouse de son fils en qui elle voit un rival, elle lui préfère Swan, son élève docile qui l’admire. Ils seront admis dans l’académie de la grande vedette de l’époque, qui repèrera immédiatement les qualités exceptionnelles de Mathis et le désignera comme son successeur. Si tous les trois sont des virtuoses passionnés, leur rapport à l’art et à la création, leurs préférences musicales (« Bach ou Mozart ? »), leurs objectifs sont différents. Ils vont débattre de ce qui les relient, l’amour du piano, le travail acharné, l’ambition d’être reconnus, et de ce qui les séparent. En particulier, leur conception de la création artistique : l’art doit-il célébrer la joie, changer le monde ou se suffire à lui-même ? Ce questionnement, transposable à d’autres formes de création artistique donne lieu à des dialogues vivants, intelligents, passionnants, jamais pédants. Après l’académie, les trois amis vont se présenter ensemble au plus prestigieux des concours internationaux. C’est Swan qui le remportera, lui, l’idéaliste, le plus timide, le plus humble, le plus désireux de ne pas faire de vague. Mais il n’en fera rien… Mathis aura un prix de consolation mais sa carrière explosera immédiatement. Quant à Raphaël, il trouvera sa voie comme pédagogue, soulagé de ne plus avoir à supporter son statut de virtuose.

La mise en scène est passionnante. Outre les dialogues, l’utilisation d’une grande toile blanche est judicieuse : d’abord au sol, foulée par les batailles du trio, puis tirée vers le haut, Raphaël y compose son concerto dédié à une amoureuse qui va l’abandonner. Puis la toile fait référence au mur que représente le concours final. Magnifique moment où le spectateur est tenu en haleine par la danse qui évoque à la fois le stress de ce genre d’épreuve et l’exécution des œuvres musicales. Les trois acteurs, excellents, vivent la musique, dont on entend des extraits, par leurs chorégraphies. Aucun instrument sur scène, mais la musique est là, vivante.

Un spectacle passionnant, intelligent, on ne s’ennuie pas une seule minute !

Sylvie Chardon

Sentinelles, mise en scène Jean-François Sivadier. 2h15. 13 au 23 décembre à la mc93, Bobigny. https://www.mc93.com/

Puis en tournée jusqu’au 29 janvier, Théâtre des Bernardines, Marseille (13), tél. : 08 20 13 20 13 ; du 2 au 4 février, Théâtre 71, Malakoff (92), tél. : 01 55 48 91 00 ; du 8 au 27 février, MC93, Bobigny (93). Puis de mars à mai à Caen, Colmar, Besançon, Clermont-Ferrand, Dunkerque, Amiens et Béthune.

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