Sur une page blanche de cahier pliée en deux à angle droit, un couple jeune d’abord puis moins jeune puis franchement âgé écrit son existence à coups de conversations séquencées par de multiples ellipses temporelles et spatiales. Amour et désamour, moments de grand partage ou de querelles pleines de contradictions qui les opposent mais aussi traversent chacun d’eux. Cela commence par une scène d’ikéalogie, ensemble des situations-types qui se produisent dans ce supermarché du confort standardisé ! Par exemple quand on fait la queue à deux dans les interminables files de caisse et qu’on se dit qu’un bon sujet de conversation pourrait servir à meubler… sauf que ça finit souvent mal. H (lui) se tourne vers F (elle) et lance l’idée de faire un bébé et c’est parti ! (Ils ne se nomment pas l’un autre puisqu’ils sont toujours ensemble sur scène et sont présentés comme H et F dans la brochure du spectacle.) F s’emporte car oui, elle veut depuis toujours être mère mais non, elle ne peut pas concevoir de faire exister une personne de plus sur cette planète déjà surpeuplée et en proie à une menace écologique majeure. À partir de là, tout y passera. Tout ce qui rend l’existence du couple précaire et sa durée incertaine particulièrement de nos jours peut-être, mais déjà depuis toujours ! Justement, n’est-ce pas pour résoudre cette impossible équation de faire un avec deux que l’on tente de faire trois ou plus ? Lieux et moments, peurs ou espoirs se succèdent au gré des évènements de la vie… Tout se décide par les mots, la conversation change et nous sommes déjà ailleurs et plus tard. C’est souvent drôle mais tendu aussi ; c’est plus drôle pour le public que pour les personnages. Une vie en accéléré comme lorsqu’on augmente la vitesse de déroulement d’un film en s’arrêtant à des moments clés visionnés à vitesse normale. Le vide noir et blanc de la scénographie d’Arnaud Anckaert permet cette création de moments et lieux différents par les mots qui à eux seuls désignent un contexte et dessinent un décor dans nos imaginations. Les comédiens se donnent la réplique et font exister les histoires dans l’espace réduit mais ouvert de la feuille pliée, face-à-face, face-à-dos, dos au mur, couchés debout parfois. La musique également minimaliste de Maxence Vandevelde est finement opportune.

Il ne s’agit pas d’une « performance » bien que c’en soit une pour le jeu vif, engagé et riche en nuances de Shams El Karoui qui interprète F et Maxime Guyon dans le rôle de H. On pourrait plutôt parler de théâtre performatif, au sens de John L. Austin (1911-1960), ce linguiste états-unien des années 60 qui résumait sa théorie en une formule célèbre : « Dire c’est faire ».

Restons chez les anglo-saxons : le texte est une traduction par Séverine Magois qui a déjà traduit avec talent Sarah Kane, Harold Pinter ou Nick Payne, d’une pièce anglaise de Duncan Macmillan intitulé Lungs, littéralement « Poumons ». L’auteur pensait sans doute aux risques d’essoufflement de la relation de couple. La traductrice a opté pour une métaphore plus géologique à connotation catastrophiste. Séisme donc, du grec « séismos », ébranlement. Si les tremblements de terre nécessitent préalablement en sous-sol de lents frottements, poussées, compressions de plaques tectoniques avant de fracturer la croûte terrestre, ici un mot suffit à ébranler l’équilibre psycho-social du couple H et F, « des gens bien » qui se font du mal tout en s’aimant. Stress, caresses, grossesses, tendresse, détresse, changement d’adresses, nouvelle jeunesse, vieillesse… une existence dont le séisme est un risque permanent entre égoïsme et altruisme, subtil numéro d’équilibrisme.

La reprise de cette création de 2017 prend cinq ans après plus quelques confinements plus l’annonce du grand collapse une certaine actualité.

Jean-Pierre Haddad

Au théâtre Dunois, 7 rue Louise Weiss, 75013 Paris. Du 26 au 29 janvier 2022. Mercredi 26 à 20h30, jeudi 27 à 19 h. vendredi et samedi à 20h. Réservation au 01 45 84 72 00 ou sur reservation@theatredunois.org


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