« La femme est l’avenir de l’homme » disait le poète… C’est beau mais faux. Une rectification s’impose : les femmes sont le présent des sociétés jusque-là dominées par l’ordre masculin, machiste même. Plus que jamais et c’est irréversible, la question de l’émancipation sociale et politique des femmes, majorité opprimée, est à l’ordre du jour dans le monde.

Le moment est donc bien choisi pour faire revivre et résonner un texte phare de la révolte féministe, SCUM Manifesto de Valérie Solanas né en 1936 et morte à cinquante-deux ans en 1988. Cette femme très en colère contre « les mâles » comme elle appelle les hommes, avait toutes les raisons de l’être : abusé par son père dans son enfance, battue par un grand-père alcoolique dans son adolescence, réduite à l’errance et à la prostitution à l’âge de quinze ans et cependant diplômée en psychologie. Pas étonnant qu’un homme en ait fait les frais suite à une histoire de manuscrit confié et perdu par lui : le 3 juin 1968, dans le hall de la Factory, Valérie Solanas tire à bout portant sur Andy Warhol qui sera sauvé in extremis. Trois ans de prisons et de traitements psychiatriques.

Le Manifeste fut édité à compte d’autrice et vendu par elle dans les rues de Manhattan en 1967.

La faute à qui, cette reprise ? La faute à Rousseau… Mirabelle Rousseau et non pas Jean-Jacques car SCUM ne réclame pas l’égalité de droit entre hommes et femmes mais appelle radicalement au renversement de l’ordre phallocratique et patriarcal, voire à la relégation du mâle, cet « être incomplet et défectueux ». Dans la foulée, il faudrait aussi abattre le monde de l’argent et du salariat consubstantiel au premier, prôner le « détravail » et la gratuité de la vie. Mais que signifie l’acronyme SCUM ? Solanas propose son SCUM Manifesto comme la revendication d’une Society for Cutting Up Men, en français : « Société pour la castration des hommes ». Ce pamphlet androphobe est assez justifié par l’histoire personnelle de son autrice mais, au-delà, il traduit une colère légitime des femmes dans le contexte historique des années soixante. C’est aussi un poème rageur, une charge violente de mots percutants et crus qui poussent le rejet à l’extrême pour mieux dire tout le mal du mâle : « Procurer au mâle, incapable de relations, l’illusion de son utilité, et lui permettre d’essayer de justifier son existence en creusant des trous et en les comblant. » car « Tout homme sait, au fond de lui, qu’il n’est qu’une sombre merde sans intérêt. Accablé par un sentiment de bestialité qui lui fait profond profondément honte. » En réalité le texte fait également place à un antagonisme interne aux genres : il y a les hommes à combattre accrochés à leur illusion de pouvoir et ceux lucides qui acceptent le renversement de l’ordre et observeront passivement les femmes en action comme il y a les femmes SCUM et les soumises, « les « lèches-bottes et les paillassons ». N’oublions pas qu’en anglais scum signifie aussi «écume », « crasse », « déchet » : affirmation puis retournement du stigmate…

Un rodéo est une épreuve très désarçonnante. Pourtant le spectacle résiste aux secousses et ruades de ce Sauvage, Corrosif et Ulcéré Manifeste jusqu’au bout, avec audace et brio ! Il faut dire que Mirabelle Rousseau a choisi de collaborer avec Sarah Chaumette, interprète hors pair qui fait de ce texte extrême un grand moment de théâtre à la fois engagé, libre et intense. Avec la complicité artistique de Leo Lorenzo, la comédienne et danseuse nous offre cinquante minutes d’un chant de révolte clamé dans une riche palette de jeux de scène, de modulations vocales et gestuelles, mises en JE d’un corps alerte et en alarme. Le texte est à la fois scandé et dansé. L’interprétation d’abord ironique devient tonique puis carrément électrique.

Texte de référence, révérence au spectacle : ne pas manquer cette Singulière Croisade Utopique et Misandre !

Jean-Pierre Haddad

Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle, Paris 75018. Les 12, 14, 17, 19, 21, 24, 26 et 28 mai à 21h. Réservations au 01 40 05 06 96 et sur https://www.reineblanche.com/calendrier/theatre/scum-rodeo

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