Lou Simon, après avoir collaboré avec Elise Chatauret de la Compagnie Babel et Zoé Grossot de la Compagnie Boom, a fondé sa Compagnie Avant l’Averse. En découvrant l’ouvrage Théorie du drone de Grégoire Chamayou, elle s’est interrogée sur ce que dit le drone militaire du monde que nous habitons et a créé un spectacle documentaire et marionnettique en forme de théâtre d’objets. Pour le bâtir, elle a mêlé fiction et réel en s’appuyant sur deux documents : un extrait d’une discussion retranscrite entre des pilotes lors d’une attaque de drone le 20 février 2010 en Afghanistan et le journal quotidien d’Atef Abu Saïf, journaliste gazaoui en 2014. Depuis Gaza, Atef Abu Saïf tient un journal dans lequel il consigne les effets de la guerre et de la présence ininterrompue de drones dans la vie quotidienne des Gazaouis. Raquel, comédienne marionnettiste, reçoit de cet homme un mail qui ne lui est pas destiné mais qui va l’amener à enquêter avec Cand, un de ses amis comédien marionnettiste, sur ce que représente cette épée de Damocles au-dessus de ceux qui en sont victimes. Cette menace constante est d’ailleurs figurée par un rocher suspendu à une structure métallique par un système de poulies et de ficelles qui ne quittera pas la scène.

La scénographie de Cerise Guyon permet une représentation métaphorique sous forme de maquette des immeubles ciblés de Gaza avec de petits personnages en plâtre figurant une famille palestinienne ou de petits morceaux de bandes plâtrées figurant les victimes. Deux mini-escaliers de bois gris représentent une région d’Afghanistan en 2010 sur lequel évolue un pick up surveillé par un drone commandé à distance sur un écran dans le Névada par des pilotes américains chargés d’appuyer sur le bouton si nécessaire. Et c’est bien là le propos de ce spectacle que de faire ressentir ce que signifie la mise à distance de ces conflits modernes. Quelle conscience du drame humain qui se joue ont ceux qui pilotent ces engins ? De même ceux qui ne sont pas quotidiennement sous la menace de ces armes qui bourdonnent à 7 kilomètres au-dessus de leur tête peuvent-ils vraiment se représenter ce que vivent ces êtres humains sous surveillance constante ?

La nécessité de répondre au mail d’Atef amène par un jeu de déplacements bien réglé à nous faire entendre les différents points de vue selon que l’on soit celui qui contrôle ou celui qui subit. Le drone, lorsqu’il ne représente pas un danger immédiat, peut paraître fascinant mais la présence du rocher nous rappelle qu’il est une lourde menace vitale pour l’humanité. Les échanges entre Raquel et Cand et les propos des pilotes chargés de cibler à distance les victimes ainsi que la belle utilisation des objets plâtrés rendent visibles ce que nous pensions invisibles. Les deux comédien.nes marionnettistes, Cand Picaud et Raquel Silva, qui sont aussi les protagonistes de la fiction, jouent parfaitement ces différents points de vue, même si par instant le propos un peu trop didactique peut en amoindrir la portée. Il n’empêche, cette représentation est bienvenue à l’heure où le drame qui se déroule à Gaza suite à l’attaque meurtrière déclenchée par le Hamas contre des civils israéliens le 7 octobre dit la nécessité de prendre conscience que la nouvelle forme de guerre dite ciblée et invisible pour ceux qui la mènent par vengeance et à fortiori à distance ou qui ne la subissent pas font des victimes innocentes par milliers. La nouvelle technologie au service des guerres n’a rien de virtuel ni de fascinant comme l’avait déjà mis en relief la guerre en Irak et ses lumières vertes.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 10 mars du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 18h et le dimanche à 17h – Le Mouffetard Centre National de la Marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris 5ème – Réservations : 01 84 79 44 44 ou lemouffetard.com – le samedi 9 mars à l’issue de la représentation, rencontre en présence de la metteuse en scène et de Thomas Hippler, philosophe et historien, Président de l’Institut de la Paix – le 30 mai 2024 , Espace Culturel St André à Abbeville (80)

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