Une femme assise dans un fauteuil remue le café dans sa tasse et parle de sa vie. Elle s’est mariée, a été une épouse qui ne se plaignait jamais. Parlant peu, toujours souriante, elle a écouté sa mère qui lui disait qu’on tenait les hommes par le ventre et a nourri son mari de plats roboratifs. Deux enfants plus tard et quelques dizaines de kilos en plus, elle a entendu son mari lui dire qu’il en aimait une autre et la quittait. Elle ne lui avait pas encore dit qu’elle attendait son troisième enfant, bien caché sous sa graisse. Quand elle a commencé à avoir des contractions, elle a préparé le petit déjeuner des enfants, les a envoyés à l’école, a accouché et a éliminé le nouveau-né.
Les institutions se sont ensuite mises en quête d’explications car l’infanticide est un de ces crimes qui engendrent l’horreur. Cette femme si silencieuse, si effacée, parle, se livre. Médée moderne propose le sous-titre de la pièce ? Mais justement ce qui donne le vertige dans la pièce de Solenn Denis, c’est la « normalité » de cette femme. Elle n’est pas une amoureuse flamboyante, elle s’accroche à la parole donnée. Il avait dit qu’il l’aimerait toujours, comment peut-il l’abandonner ? Elle aspirait juste à une petite vie conventionnelle, à un bouquet de fleurs, à un peu d’attention, une vie comme dans les films. Elle aurait aimé partir, aller à Venise mais n’osait pas y penser et quand elle a osé proposer Bruges, la Venise du Nord, son mari lui a ri au nez avant de se rasseoir devant la télévision.
La mise en scène signée Solenn Denis et Erwan Daouphars est très sobre : un fauteuil où est assis l’acteur, des moments de musique alternant des sortes de plages un peu lisses et des moments chaotiques, peut-être à l’image de ce qui passe dans la tête de cette femme. Erwan Daouphars prend en charge ce texte. Il est cette femme aux rêves détruits, coincée et acculée au pire. Il allume la lumière près de lui et en réduit l’intensité au gré de ses confidences. Il parle de petites choses, sa robe de chambre râpée, évoque le barbecue dominical, enchaîne sur les règles qu’il s’est fixées pour ne pas gêner son mari ou sur ses rêves. Sa voix se noue, devient froide comme un procès-verbal ou s’anime. Le fait d’avoir choisi un homme pour jouer cette femme permet de maintenir de la distance et d’éviter le sordide. Cela permet peut-être aussi de ne pas écarter la responsabilité du mari dans le drame. Erwan Daouphars nous laisse au bord du gouffre, saisis, mais obligés de chercher à comprendre.
Micheline Rousselet
Mardi, mercredi à 20h, jeudi et samedi à 19h, dimanche à 16h, vendredi 30 mars à 19h, vendredi 6 avril à 20h
La Maison des Métallos
94 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 48 05 88 27
En tournée ensuite. Nombreuses dates jusqu’en Mars 2019
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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