Suzanne et Marion ont décidé de quitter la ville et de s’installer à la campagne. Face au public, elles exposent leur projet. Marion a vendu l’appartement qu’elle avait acheté grâce au succès de son premier roman. Accompagnée de son frère bipolaire, elle espère à la campagne retrouver l’inspiration qu’elle a perdue. Après bien des recherches sa compagne, Suzanne, a trouvé un grand domaine où il y avait autrefois une usine, des biefs. Bien sûr il y aura des travaux à faire mais elle est déterminée. Tout commence un peu mal. Elles ne connaissent rien à la gestion des eaux dans un domaine de ce type et provoquent une inondation qui ruine les récoltes du petit maraîcher du coin. Il leur reste trop peu d’argent pour l’indemniser et réparer. Elles vont se heurter à des réalités qu’elles ne soupçonnaient pas dans leur rêve de proximité avec la nature, mais la solidarité des voisins va se mettre en marche et la vie va s’organiser.

Après Des territoires-Trilogie, Baptiste Amann dessine une nouvelle fresque tout aussi vivante et excitante que la précédente, qui nous emmène cette fois loin de la ville pour nous parler d’écologie, mais aussi de précarité, de recherches de subventions, de solidarité, des rapports parents-enfants et de la maladie mentale. Derrière l’intime les enjeux politiques sont bien là et même si les choses ne se passent pas aussi simplement que Suzanne et Marion l’avaient imaginé, la pièce invite à garder l’espoir, car comme le dit l’auteur « L’espoir, débarrassé de ses certitudes, ne pourrait-il pas être le principe actif de nos imaginaires en lutte avec l’implacabilité du monde et en cela le gardien de notre humanité ».

Tout se passe dans la salle des fêtes du village avec son vieux parquet, ses fanions défraîchis, son comptoir et ses empilements de chaises. On va y suivre le trio Suzanne, Marion et son frère au fil des quatre saisons ponctuées par la musique de Vivaldi marquant l’après ou l’avant de quatre moments-clés. À l’automne la réunion du conseil consultatif après la crue, en hiver la répétition des vœux du Maire, au printemps la préparation du vide-grenier destiné à trouver des fonds et en été une fin de soirée de bal du 14 juillet. Chacun de ces moments sera l’occasion pour les voisins de se raconter et de dire leurs désaccords, mais aussi au-delà des colères et des peines de chercher à s’entraider pour pouvoir continuer à vivre ensemble.

Olivier Brunhes, Alexandra Castellon, Julien Geffroy, Suzanne Jeanjean, Lisa Kramarz, Caroline Menon-Bertheux, Rémi Mesnard, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Marion Verstraeten incarnent les dix personnages.

Comme dans les précédentes pièces de Baptiste Amann la parole navigue entre des dialogues prosaïques, des moments romanesques et des envolées poétiques comme lorsque Olivier, le propriétaire du moulin arrive habillée en chouette, surprenant tout le monde lors de la préparation du vide grenier. Comme dans la vie il y a des moments drôles (mention spéciale à Caroline Menon-Bertheux qui quitte brusquement son personnage de défenseur de l’écologie pour un numéro de gymnastique rythmique et sportive désopilant). Il y a aussi des moments graves comme lorsqu’il s’agit du gouffre financier au bord duquel se débat le maraîcher ou lorsque la bipolarité de Samuel vire au drame tandis que Marion se désespère de ne pouvoir l’aider et même d’aggraver son état en cherchant à tout prix à le soigner. Les deux émotions se mêlent parfois. Ainsi lorsque Yohann l’Antillais se met brusquement à parler le créole, que traduit sa femme, cela semble incongru et l’on rit, jusqu’au moment où l’on comprend que c’est le souvenir d’un traumatisme dans sa relation à son père quand il était enfant qui est en cause.

Une fresque chorale pleine d’intelligence et d’émotions avec des personnages vivants auxquels on croit. On partage leurs espoirs, leurs chagrins et leurs défaites mais, envers et contre tout, ils nous invitent à garder espoir.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 29 janvier au Théâtre Ouvert, 159 avenue Gambetta, 75020 Paris – Réservations : 01 42 55 55 50 ou resa@theatreouvert.com – du 2 au 11 février au Théâtre Public de Montreuil, 10 Place Jean Jaurès, Montreuil – du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 18h, le dimanche à 17h – Réservations : 01 48 70 48 90 ou theatrepublicmontreuil.com – Tournée : 23 et 24 mars au ZEF, scène nationale de Marseille, 4 au 7 avril à la Comédie de Saint-Étienne, 25 au 29 avril en itinérant avec la Comédie de Saint-Étienne, 5 mai à L’Odyssée à Périgueux


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