Des expériences de création de formes de vie alternative se sont développées depuis les années 1960 en divers points du monde mais les pouvoirs en place se sont toujours acharnés à les saccager, comme si la simple expérimentation d’une alternative était insupportable. La Compagnie ADA-Théâtre nous entraîne dans ce voyage de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, où des opposants à l’installation d’un nouvel aéroport inventent de nouvelles façons d’habiter et de vivre, à la Faculté de Vincennes, qui dans les années 1960 tentait d’ouvrir les études supérieures à de nouvelles catégories d’étudiants en inventant d’autres manières d’enseigner, de la clinique de La Borde, où la séparation entre soignants et malades n’était plus une frontière infranchissable, aux militants du Chiapas (Mexique) ou du Rojava (Kurdes).

Judith Bernard qui a écrit et mis en scène la pièce poursuit le travail de philosophie politique qu’elle avait entrepris avec Bienvenue dans l’angle Alpha, qui s’intéressait à l’aliénation liée au salariat, puis Amargi sur l’endettement. Ici on entre dans ces collectifs qui expérimentent des formes de vie alternatives, on assiste à leurs débats théoriques et à leurs expérimentations, à leurs divergences sur l’attitude à adopter par rapport à l’État (s’opposer à lui ou chercher des compromis). Ils savent qu’arrivera vite le moment où, dès lors que leurs propositions auront fait des émules, le pouvoir s’émouvra et lancera police, pelleteuses, blindés pour les éliminer.

Du théâtre politique donc, qui rend vivant.e.s et drôles ces débats et ces situations. Un décor unique, une table et des chaises car on débat beaucoup, une tonnelle de feuilles artificielles sur lesquelles on peut épingler des affiches de mai 1968 pour la fac de Vincennes ou les slogans pour la ZAD et qui devient abri contre les bombardements sur lesquels on peut afficher les portraits des martyrs pour le Rojava. Un rétroprojecteur indique les dates, les lieux et donne des éléments d’information. Le saccage n’est pas montré. Des bruits le font naître dans l’imaginaire des spectateurs, hélicoptères, canonnades, vacarme de cabanes brisées.

Quatre acteurs, deux femmes et deux hommes aux noms passe-partout (la brune, la rousse, l’aîné, le cadet), traversent les lieux et les époques en changeant de costume (jean et sweat, tenue babacool, treillis militaire) pour incarner une trentaine de personnages. On passe du narrateur, qui explique par exemple le contexte de la création de la faculté de Vincennes, car cela ne dit peut-être plus rien aux plus jeunes, à une intervention drolatique de Jacques Lacan (ou Michel Foucault selon les jours). Une des actrices se transforme en Virginie Despentes pour lire un de ses textes ou se fait intercesseuse entre le leader kurde Öcalan et Murray Bookchin, le théoricien du municipalisme libertaire. On entend l’écho des débats à la fac de Vincennes entre les communistes, les Mao, les anarchistes, les étudiants interpellant Lacan (« on n’y comprend rien ») et la parole grave d’une jeune combattante kurde.

Ça vit, ça discute, c’est un peu bavard, mais on n’a pas souvent l’occasion d’entendre ces voix au théâtre.

Micheline Rousselet

« Saccage » – Jusqu’au 29 novembre à La Manufacture des Abbesses – 7 rue Véron, 75018 Paris – Horaires COVID à partir du 18 octobre : le dimanche à 12h15Réservations : 01 42 33 42 03

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