« Somme hétéroclite d’aspect kaléidoscopique espérant synthétiser partiellement l’ensemble des accomplissements remarquables de l’éponyme ». Ouf, voilà pour l’acronyme du titre ! C’est bien de Shakespeare qu’il s’agit, de sa vie, du moins de ce que l’on en connaît – puisqu’elle est pleine d’ombres et de conjectures un peu folles – et de ce qu’on connaît mieux, les personnages et les phrases devenues légendaires de ses pièces.

Après Molière et Tchekhov, c’est au plus monumental des auteurs de théâtre que s’est attachée la Compagnie Grand Tigre. La troupe s’inspire des pièces, sonnets et poèmes de Shakespeare, y pêchant des vers sublimes et d’autres dignes d’un potache, des pitreries et des drames, tous révélateurs d’une humanité pleine de contrastes. De sa vie ils ont retenu ce dont on est à peu près sûr, la naissance et la mort à Stratford-upon-Avon, le mariage à dix-huit ans avec Anne, le départ en tournée pour fuir la peste, la détresse de sa femme après la mort de leur fils Hamnet, son amitié avec Marlowe, qui a fait que certains se sont obstinés à attribuer à ce dernier nombre des pièces de Will, sa brouille avec le comédien comique William Kempe, le Théâtre du Globe et son incendie après un malencontreux coup de canon tiré à la fin de Henri VI, ses relations avec la Reine Elizabeth puis le Roi Jacques. On entend les controverses autour du personnage. Fils d’un commerçant raté ou réussi, mari exécrable ou père aimant, génial créateur ou plagiaire éhonté, acteur raté ou arriviste forcené ? Mais surtout en écho viennent les références aux personnages et des vers du génial écrivain. On vogue de Roméo et Juliette à Richard III, de Hamlet à Macbeth ou Falstaff.

L’écriture collective a été finalisée par Étienne Luneau. La pièce est écrite pour trois comédiens, Tristan Le Goff qui interprète Shakespeare, Étienne Luneau et Malvina Morisseau qui interprètent tous les autres personnages, sans distinction de genre, et un musicien Joseph Robinne. On est dans des sommets d’humour (puisqu’on est au théâtre une femme peut jouer un homme, et réciproquement, un pommier ou un cheval) et on rit beaucoup. Chaque fois qu’un comédien veut parler d’Hamnet, le fils de Shakespeare, sa langue lui échappe et c’est Hamlet que l’on entend. La Reine Elizabeth précise « Première bien sûr sinon j’aurais un petit sac à main » ! Quelques mots d’anglais se faufilent, des verbes irréguliers par exemple ! Mais ce n’est jamais gratuit. Quand Shakespeare se sépare de Kempe, le clown un peu vulgaire qu’adorait la Reine Elizabeth I, il se dispute avec lui sur ce qu’est un bon comédien, lequel « doit être subordonné à l’intrigue ».

La mise en scène d’Elsa Robinne s’organise autour de l’espace du musicien. Il joue directement une partition nourrie de chansons de l’époque et de musiques pop-rock des années 70. Tous les comédiens l’épaulent à la guitare, à la trompette, soulignant une réplique avec ironie ou annonçant un désastre.

Et quand résonne la phrase célèbre « La vie n’est qu’une ombre qui passe… une histoire dite par un idiot pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien », on quitte à regret « ce bon vieux Will » espérant que cette troupe nous entraîne bientôt, avec autant de talent, vers un autre écrivain.

Micheline Rousselet

Spectacle vu au Théâtre des Deux Rives à Charenton-le-Pont (94) – du 5 au 26 juillet Festival Off d’Avignon, au Théâtre des Lucioles à 15h25 (relâche les 9, 16 et 23 juillet)


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