Don Salluste furieux est bien décidé à se venger de la Reine d’Espagne, qui l’a exilé pour avoir déshonoré une de ses dames d’honneur et refusé ensuite de l’épouser, la jugeant indigne de son rang. Il ourdit un complot machiavélique pour perdre la Reine. Découvrant l’amour que son valet Ruy Blas porte à la Reine, il va le faire passer pour son cousin, Don Oscar, éloigné de la Cour depuis longtemps et qu’il se dépêche de vendre à des barbaresques pour s’en débarrasser définitivement. Devenu Ministre, Ruy Blas va se dévouer à l’intérêt de la couronne et de la Reine. Délaissée par un mari qui lui préfère la chasse celle-ci se met à l’aimer à son tour. Mais Don Salluste est tapi dans l’ombre, prêt à perdre la Reine et Ruy Blas.
La pièce de Victor Hugo a attiré nombre de metteurs en scène, non seulement pour son caractère romantique mais aussi pour son aspect politique. Ruy Blas est entré dans la cour des grands par un mensonge. Il a cru pouvoir s’élever au-dessus de sa condition par son engagement sincère dans la défense des intérêts du royaume, son amour pour la Reine et son rêve d’être aimé par elle, mais il n’a pas su voir à quel degré de traîtrise les Grands du monde étaient prêts à aller pour garder leur position sociale. Ruy Blas a cru qu’il pourrait s’élever plus haut que le mépris de classe et la société ne le permettaient. Il le paiera de sa mort. Même si la pièce a un côté mélodramatique, la question est toujours d’actualité. En outre la pièce regorge de moments de bravoure, la tirade de Ruy Blas fustigeant les Ministres par exemple, et de phrases devenues culte, qui ne peuvent que séduire les comédiens.
La mise en scène d’Olivier Mellor, installé à Amiens depuis trente ans, nous place d’emblée dans un palais où doivent se tramer bien des complots. Les serviteurs se glissent, déplacent des meubles silencieusement, sinuent entre les musiciens. La musique, composée par Séverin Toskano Jeanniard avec qui Olivier Mellocollabore depuis 2007, est jouée sur scène et mêle violoncelle, contrebasse, accordéon et saxophone pour épouser la narration et créer de l’émotion. Le metteur en scène nous entraîne dans un mélange des genres propre à la pièce de Victor Hugo. Le drame, la grandeur mais aussi le burlesque, avec l’interprétation du rôle de la duègne (Marie-Laure Desbordes), qui évoque irrésistiblement Alice Sapritch dans le film La folie des grandeurs (inspiré de Ruy Blas) ou les rires sardoniques de Don Salluste. Olivier Mellor sait aussi créer des surprises qui ravissent le public. Les ministres, que Ruy Blas interpelle, sont présentés en vidéo en train de baffrer. La Reine, pour sa première entrée en scène, apparaît posée dans la robe des Ménines de Velázquez, sauf que celle-ci doit faire trois mètres de large ! Elle s’ennuie enfermée dans son jardin ? Autour d’elle se déploie la structure métallique d’une gloriette vite comprise comme une prison qui finira par tourner autour d’elle, poussée par les Ministres, tous des hommes ! Quand Ruy Blas interpelle les Ministres, ce sont des puissants et des militaires que l’on voit dans une vidéo.
Dans la distribution très convaincante et homogène, on retient surtout Emmanuel Bordier qui donne à Ruy Blas une jeunesse et un engagement qui le conduiront au drame, Caroline Corme en Reine d’Espagne déprimée mais prête à s’enflammer, Rémi Pous qui incarne un Don César de Bazan que son amour des plaisirs de la vie n’empêche pas d’avoir des convictions et surtout Stephen Szekely qui campe un Don Salluste vipérin, préparant son piège et riant des dégâts que fera sa vengeance.
Dans cette mise en scène très réussie, tous nous font entendre la beauté du texte de Victor Hugo et son actualité.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 17 octobre au Centre culturel Jacques Tati à Amiens – Réservations : 03 22 46 01 14 ou via le site internet – Du 16 novembre au 3 décembre au Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes – du jeudi au samedi à 21h, le dimanche à 16h30 – Réservations 01 48 08 39 74 ou www.epeedebois.com
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