C’est Noël, on se réunit et tout le monde est heureux de partager un moment de joie familiale… c’est la règle ! « La famille d’abord ! » répète à plusieurs reprises Édith, la maitresse de maison. Cette insistance n’est-elle pas le signe que la famille risque fort de passer après le chacun pour soi ? Déjà, on déroge à la règle : le repas de Noël ne se déroulera pas le soir mais le midi…  Noël, n’est-ce pas aussi la fête des enfants ? Deuxième règle enfreinte : la seule enfant de la famille déclarée « fatiguée » par une mère plus castratrice que prévenante, restera dans sa chambre. La famille fait sens dans l’amour et le lien mais en même temps, elle est le lieu de toutes les haines, de toutes les trahisons. Et si elle était un « trou noir », une énergie puissante mais destructrice ?! Voilà pourquoi dans ces Règles du je(u) familial, on a décidé qu’il y aurait un système de règles explicite et s’appliquant à chacun des personnages. Par exemple Matthew, le plus jeune fils, doit être assis et manger pour mentir alors que Carrie, sa compagne, doit être debout pour faire une blague. Les règles sont arbitraires mais ce sont les règles et il faut y souscrire pour que le jeu se déroule bien et que chaque Je puisse tenir face aux autres. Une règle, ce peut être une colonne vertébrale pour le moi, en proie à ses penchants. Même la règle la plus saugrenue peut tenir lieu de tuteur comme celle qui enjoint à Adam, le fils aîné, de prendre une voix ridicule pour dire la vérité.

Il est possible que l’autrice écossaise de Rules for living, Sam Holcroft qui a commencé sa carrière comme membre du Young Writers’ Group du Traverse Theatre d’Edimbourg, règle ses comptes avec la famille – la sienne, celle du théâtre, la société toute entière ? – toujours est-il que la réunion familiale se prolonge, le père se faisant attendre. Au fil du temps, chaque règle augmente en nombre de consignes. La mise en scène d’Arnaud Anckaert qui fréquente le théâtre anglo-saxon depuis un moment est ultra-dynamique, presque percutante, l’arène ou le ring de boxe ne sont pas loin. Le plateau est un cube blanc sans coulisses obligeant les combattants à rester à vue quand ils ne combattent pas. En fond de scène, s’affichent en vidéo les règles avec leurs énoncés de plus en plus longs et contraignants. Les enjeux de la famille se précisent et la tension monte, le risque d’effondrement devient palpable. En principe, les règles ont une fonction néguentropique mais dans le trou noir familial, l’entropie semble structurelle : ambivalence affective, jalousies, frustrations et obsessions individuelles travaillent sourdement les rapports. La fête, son excitation et ses boissons alcoolisées, offre au désordre une occasion rêvée. Certes, les règles et leur observance produisent du comique. Dans le cube blanc, l’ambiance tourne à la noirceur. Une règle peut aider mais l’inflation des règles crée un le risque de dérèglement. Plus le système est complexe plus il se fragilise et l’explosion guette ! C’est un Noël où « l’on ne se fait pas de cadeaux »… un Noël qui exclut l’enfant.

La situation deviendra critique à l’arrivée du père. Le patriarche est gravement marqué par les séquelles d’un AVC mais pas assez pour affaiblir sa libido lubrique. À table, le papi ose encore faire des avances à la jeune Carrie.

Et ce qui devait arriver arriva, non pas le Père Noël, mais le dérèglement total, l’explosion. La fête devient un jeu de massacre où tout le monde est perdant. Et l’enfant ? Sera-t-elle le regard neuf d’un monde qui s’écroule?

Saluons la performance absolument collective de Fanny Chevalier, Nicolas Cornille, Roland Depauw, Céline Dupuis, Nicolas Postillon, Victoria Quesnel et Emma Anckaert qui jouent tous à merveille le jeu difficile d’une Règle du jeu qui va crescendo jusqu’à mettre en crise les Je des personnages. 

On peut y aller le cœur léger, en sachant que l’on va rire tout en acceptant l’invitation de ce Rules for living à questionner la fausse naturalité des rapports familiaux et la naïveté du bonheur en famille.

Jean-Pierre Haddad    

Création à la Comédie de Picardie, 62 rue des Jacobins, 80 000 Amiens, Du 07 au 09 novembre 2022.

Tournée : Le 15 Novembre 2022, Théâtre Jean Vilar, Saint Quentin ; Le 17 Novembre 2022, La Faïencerie, Creil ; Les 24 & 25 Novembre 2022, Comédie de Béthune, Béthune ; Le 1er Décembre 2022, Théâtre Jacques Carat, Cachan, dans le cadre des théâtrales Charles Dullin ; Le 3 Décembre 2022, L’Orange Bleue, Eaubonne ; Le 6 Décembre 2022, Théâtre des Sources, Fontenay aux Roses ; Le 8 Décembre 2022, Théâtre du Cormier, Cormeilles en Parisis ; Du 18 au 20 Janvier 2023, Le NEST, Thionville ; Du 25 au 27 Janvier 2023, Le Phénix, Valenciennes ; Le 31 Janvier 2023, Le Manège, Maubeuge ; Du 8 au 10 Février 2023, L’Allende avec La Rose des Vents, Mons-en-Barœul ; Le 2 Mars 2023, Maison Folie Wazemmes, Lille ; Le 7 Mars 2023, La Tête Noire, Saran ; Les 14 & 15 Mars 2023, La Barcarolle, Arques ; Le 25 Avril 2023, Espace Jeliote, Oloron-Ste-Marie ; Le 4 Mai 2023, Théâtre Beno Besson, Yverdon-les-Bains (Suisse) ; Le 6 Mai 2023, Le Reflet, Vevey (Suisse).

Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu