« Rouge décanté  » d’après le roman écrit par Jeroen Brouwers, dans la mise en scène de Guy Cassiers, a été créé voilà dix ans à Anvers. La pièce est devenue un spectacle culte que les spectateurs fidèles viennent revoir régulièrement à chaque reprise.

Le spectacle est programmé pour la première fois à Paris, au Théâtre de la Bastille.

Théâtre : Rouge décanté
Théâtre : Rouge décanté

« Rouge décanté  » relate les souvenirs d’enfant de l’auteur quand il fut enfermé avec sa mère, sa grand-mère et sa sœur dans un camp d’internement japonais pendant la seconde guerre mondiale.

Le texte douloureux qui a résulté de cet épisode effroyable raconte un pan de l’Histoire resté longtemps occulté, du point de vue des souvenirs qu’en a gardés un tout jeune enfant.

Quel adulte devient celui qui à partir de cinq ans a assisté à des scènes de torture insoutenables dont a été victime, entre autres, sa propre mère ?

L’image maternelle a été brisée (il dit cassée comme s’il s’agissait d’un jouet bon à être mis au rebut) à tel point que, pour aller plus avant dans la vie, continuer à être un enfant, un adolescent puis un adulte, il a dû admettre que toute sensibilité lui était étrangère, nier les sentiments naturels jusqu’aux devoirs filiaux les plus élémentaires.

C’est ainsi que lorsqu’il a appris le décès de sa mère dans la maison de retraite où elle avait été placée, il a renoncé à se déplacer pour se recueillir sur sa dépouille.

Comme il était absent au moment de l’incinération, de la réception de l’urne funéraire.

Le souvenir des scènes de torture a fait son chemin destructeur chez l’homme qui s’est retiré de son rôle d’époux et de père, le jour de la naissance de sa fille, quand il a vu un chirurgien recoudre sa femme déchirée au cours de l’accouchement.

Il a associé au corps mutilé de sa mère après la torture, celui de son épouse et il s’est vidé de toute émotion, de toute sensibilité pour se retirer du « jeu de la vie » comme un étranger que des événements douloureux ont fait de lui…

Pourtant le texte est dans sa force et dans sa sensibilité une ode à la mère et aux femmes en général, une ode à la survie quoiqu’il ait pu en coûter, en dépit du fait que la part émotionnelle du personnage ait définitivement péri dans le camp…

Pour transposer le récit sur la scène, Guy Cassiers a fait un usage parcimonieux et d’autant plus efficace du son et de la vidéo. Ces éléments sont là pour amplifier l’émotion et l’humanité des êtres en installant dans les interstices du récit, une forme d’intimité invitant à imaginer ce qui n’est pas montré.

Cet homme morcelé, démultiplié par les caméras qui le filment jusqu’au plus près et qui semble se débattre dans la toile d’araignée tissée à la fois du souvenir et du présent, est interprété par un comédien magnifique, Dirk Roofthooft

On voit rarement, comme ici, un interprète faire sien un monologue. La complicité entre le texte et l’acteur est telle qu’il se crée sous nos yeux une alchimie qui fait que l’un et l’autre se confondent, ne font qu’un, et qu’il se produit hors du jeu, une incarnation.

Magnifique. Un spectacle rare, à ne manquer sous aucun prétexte.

Francis Dubois

Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75 011 Paris

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) 0 43 57 42 14

www.theatre-bastille.com


Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu