
Romancero Queer est le premier texte théâtral que Virginie Despentes écrit seule. Elle y retrouve les huit comédiennes et comédiens avec qui elle avait mis en scène WOKE en 2024 au Théâtre du Nord à Lille. La pièce se passe dans les coulisses d’un théâtre où un metteur en scène sexagénaire, blanc vaguement de gauche et hétéro, Michel, s’est mis dans la tête de monter La Maison de Bernarda Alba, de Federico Garcia Lorca en version queer. On ne le verra jamais mais il occupe les conversations car il est tyrannique et semble adorer maltraiter ses acteurs et actrices dont deux sont des anciennes maîtresses. Dans les coulisses, les acteurs échangent sur les humiliations que leur inflige le metteur en scène, s’inquiètent sur la pièce qu’ils répètent et se confient sur leur vie et leurs émotions.
Virginie Despentes a choisi de nous parler de théâtre, des acteurs, de ce qui se passe dans leur tête quand ils répètent. Mais elle n’oublie pas ses thèmes de prédilection : la condamnation du patriarcat et du capitalisme. Sans longs discours elle frappe fort, elle dynamite les clichés sociaux sur le genre et sur l’amour, elle dénonce la pédophilie dans le cinéma. Ses remarques font mouche sur le sort d’un homosexuel comme Lorca ou sur les prisons où les parloirs sont pleins chez les hommes, leurs femmes les visitent, et vides chez les femmes. Elle dit « J’ai envie de parler de masculinité, de féminisation, d’abus de pouvoir, mais surtout de stratégies de résistance et d’esquives, de déviances et de bienveillance collectives, et de joie de groupe ». Elle dit « ce qui est dangereux c’est le silence ». Et là, un jour c’en est trop des humiliations que Michel inflige à ses actrices et acteurs. L’une d’elles Faïrouz répond à Michel qui la renvoie et c’est la grève !
Dans une scénographie simple, des cubes gris et un rideau de plastique blanc au fond qui tombera à la fin, laissant place à un fond rouge comme la révolte. L’important ce sont les personnages. L’autrice les a créés en pensant à des acteurs, en mélangeant les références, les âges, la couleur de peau, le style. Ils parlent, ils chantent parfois et ces personnages existent vraiment. Vita (Soa de Muse) longue et élégante égérie drag, critique lucide du metteur en scène vieillissant, Gaby (Sasha Andres) qui a fait sept ans de prison pour braquage et s’inquiète d’être un peu vieille pour jouer, Nina (Mascare) qui vient de se faire larguer par sa copine et ne se remet pas de cette trahison, Lou (Clara Ponsot) qui se sait mauvaise actrice mais veut garder les faveurs de Michel qui l’a aimée autrefois, Wanda (Mata Gabin) traumatisée par la violence de son fils qui battait sa femme et qui craignait qu’un jour il ne la tue, André (Amir Baylly) acteur abusé enfant qui s’inquiète de ce que ça veut dire de « jouer un classique dans l’esprit queer » et surtout la magnifique Soraya Garlenq dans le rôle de Faïrouz, la lesbienne militante. Et puis il y l’énigmatique Max (Casey) qui observe, écoute, n’a pas envie d’entendre leurs confidences et semble échapper aux humiliations infligées par Michel. Forcément il n’est pas acteur il est juste le dealer qui l’approvisionne !
Un spectacle libre qui vit, qui vibre et déchaîne l’enthousiasme des jeunes qui emplissent la salle au point que des files d’attente se créent chaque soir espérant qu’une place se libère.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 29 juin au Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris – du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h, le dimanche à 16h – Réservations : 01 44 62 52 52 ou billetterie.colline.fr
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