
Le Brésil est le pays invité de cette 59e édition du Festival Off d’Avignon… Avec Roda Favela de et par Laurent Poncelet assisté de José W. Junior, on peut dire que cet invité nous le rend bien ! En effet, avant même d’être assis dans l’espace-théâtre de la cour du Lycée Mistral, O grupo Pé No Chao et la Compagnie Ophélia Théâtre nous accueille comme des invités. On se croyait à Avignon et d’un coup on se retrouve dans une favela de Recife. Musique, percussions, corps en mouvement, gens qui marchent en dansant ou l’inverse, qui parlent fort et tous en même temps, l’effet d’immersion est saisissant. S’y ajoute un décor basique mais qui suggère parfaitement les habitations irrégulières construites sans « plan d’urbanisme » ! Ça vibre, ça pulse, ça chauffe, ça vit, ça souffre ou ça meurt parfois même, mais ça vit quand même toujours, ça survit mais en deux mots « sur-vit », car ça vit plus, la vie est « sur-vécue », vécue à la puissance mille.
Sur la scène comme pour le public, pas le temps de souffler ou plutôt le souffle de la Favela sature le lieu, le souffle c’est son rythme de vie, un souffle suroxygéné, survolté, haletant et prodigue ; d’une dépense généreuse et débridée, une dépense sans argent mais pleine d’énergie, de l’adrénaline sans compter ! Les douze artistes brésiliens plutôt très jeunes, filles, garçons et autres, mettent le feu sur le plateau, un feu intérieur et explosif, un foyer inextinguible. Que nous racontent-ils ? Leur vie tout simplement, si différente de la nôtre ! Une vie précaire mais exaltée, une vie dont on pourrait rêver si ce n’était la misère, la drogue, la violence. Une vie à fleur de peau, au plus près des affects, de la passion, du sens de l’urgence, une vie de fraternité et de sororité, de solidarité dans les drames et de querelle dans les plaisirs !
Si le désir, la flamboyance et une joyeuse explosivité définissent Roda Favela, la troupe sait aussi appuyer là où le Brésil a mal : le mépris de classe, le racisme débridé, le sexisme affiché et l’homophobie ouvertement déclarée d’une extrême-droite au pouvoir pendant quatre ans (avec qui l’on sait) sont aussi dénoncés, sans toutefois s’appesantir sur une évocation qui gâcherait la fête !
Ces artistes résident tous dans des favelas de Recife et se sont formés à l’art dramatique, à la musique, à la danse dans des ateliers proposés comme des tremplins vers un futur autre que celui de la délinquance et des gangs. Ils ont acquis des techniques et des savoir-faire tout en conservant leur spontanéité, leur énergie, leur pulsation vitale. Ou plutôt, la technique acquise leur a permis de décupler les effets de leurs qualités. Par moment, une projection vidéo sur les murs de la favela nous les montre en contexte et cela ressemble fort à ce que nous avons sous les yeux, si ce n’était la distance de la représentation et de la convention théâtrale. Si les limites entre réel et fiction sont ténues, c’est qu’ils et elles incarnent leurs propres existences sur scène, sans risque ici de mourir, en devenant ce qu’ils et elles sont : jongleurs de rires, acrobates des passions de joie comme de tristesse, artistes de la vie. Nommons tous ces comédiens-danseurs-chanteurs-musiciens doués en improvisations : Myrian Vitória Rufino Santos, Deivson Cunha de França, Tayná da Silva Salomé, José Lucas de Souza Carvalho, Márcio Luiz do Nascimento, Clécio Carlos dos Santos, Alyson Victor Oliveira da Silva, Enerson Fernando Ribeiro Alves da Silva, Glaucilene Ribeiro da Fonseca, Rinaldo Tenório dos Santos, Rita de Kássia Tenório dos Santos, Laiza Vitoria da Silva, José Hilton, sans oublier à la lumière, Jonathan Argemi, à la création vidéo, Martin Monti-Lalaubie et pour la création musicale, Clécio Carlos dos Santos.
Roda Favela est joué en brésilien et c’est heureux ! Un sur-titrage sur une toile accrochée au-dessus de la favela comme une banderole de manif, permet de suivre les échanges ; mais plongé dans le spectacle, le public a l’impression de comprendre la langue. En ce moment, les rues d’Avignon peuvent faire penser à un grand carnaval festif, alors pourquoi pas accentuer la sensation en allant « roder autour de la favela »…
Jean-Pierre Haddad
Festival Off Avignon – 11, 11 boulevard Raspail, Espaces Mistral, Avignon. Du 7 au 24 juillet 2025 à 21h30. Relâche les 11 et 18 juillet. Informations : https://www.11avignon.com/programmation/roda-favela
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