Quand Delphine de Vigan a projeté d’écrire ce roman elle a failli renoncer, car parler de cette mère bipolaire, si belle, tant aimée et qui s’est suicidée à 60 ans lui paraissait un projet trop « casse-gueule » comme elle le dit. Quand Elsa Lepoivre, sociétaire de la Comédie Française, a proposé de porter le livre sur la scène, la première réaction de la romancière a été de dire non et finalement, elle s’est laissé emporter par l’enthousiasme de la comédienne et son amour du texte. Toutes deux sont convenues de s’en tenir seulement à la première partie du roman et elles ont négocié, parfois âprement, sur les fragments choisis.

Delphine de Vigan s’est projetée à la place de sa mère, Lucile, pour tenter de comprendre sa bipolarité et faire face à son mystère. Elle a interrogé les frères et sœurs de sa mère et fouillé dans les archives familiales pour « écrire sa mère », celle qui avait écrit au rouge à lèvres sur le miroir de la salle de bain « je vais craquer », un message qui ne pouvait laisser en paix ses filles. Elsa Lepoivre, à son tour se projette en Delphine de Vigan. Assise devant une table que l’on imagine bureau, puis table familiale entourée de chaises ou, surmontée d’un micro, lieu de l’interview de la romancière, elle révèle peu à peu le tragique de l’histoire familiale de Lucile. Sept frères et sœurs dont trois morts tragiquement, un par accident, deux par suicide, un petit dernier trisomique, et surtout un père très aimant, trop puisque incestueux, ce que Lucile ne révélera que lorsqu’elle aura 32 ans.

La mise en scène de Fabien Gorgeart accompagne ce seul en scène d’Elsa Lepoivre. La comédienne épouse la plongée de la romancière dans son espace mental, la lumière s’accroche à elle, la faisant sortir de l’ombre. Des noms, des dates s’affichent fixant des repères dans une vie.

On sent tout l’amour de la comédienne pour ce texte. Elle est Delphine de Vigan cherchant à s’approcher au plus près du mystère de cette mère tant aimée quitte à s’y brûler, elle évoque Lucile craintive, attentive au moindre bruit, la tristesse inscrite sur son visage. Chacun des mots, chacun des gestes de la comédienne est précis et juste. Délicate et sensible elle est bouleversante. Au bord des larmes quand elle répond aux lecteurs lors d’une interview, interrogeant ses souvenirs ou riant, elle est toujours juste. Un texte de Soulages est écrit sur le mur du fond de scène au début de la pièce « Un jour je peignais, le noir avait envahi toute la surface de la toile … Les différences de texture réfléchissaient plus ou moins faiblement la lumière et du sombre émanait une clarté dont le pouvoir émotionnel particulier animait mon désir de peindre ». Cette « lumière secrète venue du noir », Elsa Lepoivre la fait surgir au milieu de l’obscurité et c’est magnifique.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 6 novembre au Studio de la Comédie Française, 99 rue de Rivoli, Galerie du Carrousel du Louvre, 75001 Paris – à 18h30, relâches les lundis et mardis et du 26 au 30 octobre – Réservation : www.comedie-francaise.fr

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