Une grand-mère et son petit-fils dans un appartement. Des bruits arrivent par la fenêtre, sirènes de police, d’ambulances, l’enfant sort et revient avec deux grandes sucettes. Ce seront elles qui comme la madeleine de Proust vont réveiller les souvenirs de la grand-mère. Assise sur le port, elle voit son petit-fils ramener une petite fille dépenaillée, qu’elle a le réflexe de cacher immédiatement. Elle se revoit petite-fille obligée de fuir une ville en proie aux flammes et aux explosions. Ayant perdu ses parents, elle se retrouve sur une barque avec d’autres réfugiés et un petit garçon, à peine plus âgé qu’elle, qui la protège et la soigne au cours de la traversée pleine de périls. Après le naufrage de leur bateau, ils se retrouvent dans un camp de réfugiés, sont séparés contre leur volonté et après moultes aventures se retrouvent sortant de deux poubelles voisines où ils ont trouvé refuge. La grand-mère qu’elle est devenue se souvient et emmène la petite fille chez elle pour la mettre à l’abri aux côtés de son petit-fils.

La Grèce étant à l’avant-garde de l’arrivée de réfugiés il n’est pas étonnant que ce spectacle trouve ses racines en Grèce. Il a été imaginé par l’écrivain Panayotis Evangelidis, dont les deux grands-mères sont elles-mêmes des réfugiées, l’une ayant fui les massacres grecs en Turquie en 1923, et le metteur en scène et marionnettiste Yiorgos Karakantzas. Les mêmes histoires imprégnant le passé et le présent, le metteur en scène a placé comme des petits cailloux des objets qui relient le passé et le présent, un portrait, de femme, une poupée. Il a aussi pensé à l’univers des contes avec une petite fille et un petit garçon, persécutés par les forces du mal, des têtes de chien aux crocs monstrueux qui poursuivent la petite fille.

Aucun mot dans ce spectacle. Tout passe par les images, la musique, la vidéo, les marionnettes.  Réalistes, expressives et poétiques à la fois, fruit d’un superbe travail de la Compagnie Merlin Puppet Teatre, les marionnettes sont portées par des manipulateurs cachés en arrière-plan comme dans le bunraku japonais (Irène Lentini et Magali Jacquot). Une technique d’illusion d’optique très sophistiquée avec un écran Pepper’s ghost permet de donner l’impression qu’elles évoluent dans un décor cinématographique en mouvement. Des projections vidéo travaillées par un spécialiste des effets spéciaux virtuels au cinéma, Shemie Reut donnent parfois une dimension fantastique au conte. La petite fille dans sa fuite se retrouve dans une forêt où l’attaquent les mains d’une marionnettiste gantée de têtes de chiens effrayantes. La vague qui emporte le bateau des réfugiés a la taille de celle d’Hokusai, mais laisse place, la tempête terminée, à un petit bateau de papier ballotté au gré des flots. C’est donc un décor à la fois réaliste par son contenu mais onirique par la technique holographique grâce à laquelle il est projeté, qui accueille les marionnettes, soulignant ainsi la difficulté du réfugié, contraint de sans cesse se déplacer, à s’insérer quelque part.

Les émotions sont enfin décuplées par la musique. Une laterna, sorte de piano mécanique arrivé de Constantinople en Grèce au XIXème siècle, fait le lien avec le passé. Elle alterne avec les compositions modernes de Nicolo Terrasi, inspirées du rebetiko – une musique grecque traditionnelle née de l’arrivée en Grèce des réfugiés d’Asie Mineure – joué sur scène au bouzouki par Tassos Tsitsivakos ou venant de plus loin par le chant de Katrina Douka ou le oud de Christos Karypidis.

Ce très beau spectacle vient nous rappeler que la tragédie des migrants n’est pas nouvelle. L’espoir et l’esprit de solidarité qui l’animent sont une source d’optimisme dans une période qui en manque sérieusement.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 30 novembre au Mouffetard, Centre National de la Marionnette, 73 rue Mouffetard, 75005 Paris – mardi au vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 17h – Réservations : 01 84 79 44 44 ou lemouffetard.com

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