Un singe accepte de se rendre devant un parterre de scientifiques pour leur raconter comment, partant de son état de singe capturé dans la savane, il a tenté de se transformer en être humain. Sur le bateau qui le ramène en Europe, il est surnommé Peter le Rouge en raison de la blessure à la joue qui lui a été faite lors de sa capture et se retrouve dos au mur dans une cage. Très vite il cherche une « issue » à la situation, pas la « liberté » car il est lucide sur l’impasse qu’elle lui offrirait sur ce bateau et il trouve que le sentiment qu’en ont les hommes est bien peu clair. Il se décide donc à imiter les hommes. Il observe les hommes d’équipage qui viennent le voir et ceux-ci, amusés et intrigués, lui apprennent, parfois avec une certaine violence, des choses. D’abord à serrer des mains, à fumer la pipe, à cracher, puis à boire de l’alcool, ce qui lui sera difficile, à la suite de quoi il prononce deux mots « hé ! Là ! », ce qui l’introduit dans la communauté des hommes. A l’arrivée du bateau il lui faudra encore trouver une « issue », le zoo, ce qui veut dire une nouvelle cage, ou le music-hall, choix qu’il a fait.

Cette courte nouvelle de Kafka a fait l’objet de multiples commentaires. En choisissant le music-hall Peter le Rouge sait qu’il ne peut pas être complètement assimilé et restera un être à part, sans compter que l’assimilation contient une part de trahison. Certains commentateurs ont pensé que pour Kafka il s’agissait d’une métaphore du parcours imposé pour leur assimilation aux minorités, les Juifs par exemple, mais on peut élargir à toutes les minorités ethniques, religieuses, sexuelles ou sociales.

En décidant de mettre en scène cette nouvelle, Georges Lavaudant a commandé une traduction neuve à Daniel Loayza. Celui-ci s’est rapproché le plus possible du texte original de Kafka. Il en a gardé l’humour et s’est plu à mettre dans la bouche du singe des phrases dont le style recherché porte à sourire.

Une gigantesque porte de bois sculpté ferme le plateau, laissant passer des bruits de pas qui résonnent. Quand elle s’ouvre Peter le Rouge apparaît, tout petit en comparaison, soigneusement coiffé, favoris bien taillés, vêtu d’un habit noir et d’une chemise blanche et commence un discours au ton officiel pour s’adresser aux membres de l’Académie et raconter son histoire. Georges Lavaudant s’est appuyé sur un comédien extraordinaire Manuel Le Lièvre qui suscite à merveille le trouble chez le spectateur. La posture un peu courbée, la démarche et parfois le rire nous renvoient vers le singe, mais la coiffure, les favoris, le costume en font un homme avec sa dignité, sa réflexion et sa lucidité sur sa situation. Et quand à la fin l’immense porte s’ouvre sur la neige qui tombe et le désordre d’un cimetière évoquant le cimetière juif de Prague, on glisse de ce singe, si petit et si humain, aux hommes confrontés à l’impératif de s’assimiler qu’on leur fixe si souvent.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 16 mars à la MC 93, 9 boulevard Lénine, 93000 Bobigny – du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 17h et le dimanche à 16h – Réservations : 01 41 60 72 72 ou reservation@mc93.com

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