Dans notre hymne national, on ne fait pas de distinction entre les citoyens chasseurs et les citoyens lapins et pourtant, être d’un côté ou de l’autre du canon du fusil, cela change tout ! Devenir l’historien des lapins, tel était le noble et courageux projet d’Howard Zinn (1922-2010), cet historien étatsunien conscient que « Tant que les lapins n’auront pas d’historiens, l’histoire sera racontée par des chasseurs. » C’est donc ce qu’il fit dans son livre-événement Une Histoire populaire des États-Unis, De 1492 à nos jours, paru en 1980 (traduit en français en 2002), sans cesse réédité à des millions d’exemplaires et connaissant un regain d’intérêt dans l’actuel contexte d’hégémonie culturelle du conservatisme réactionnaire et trumpiste, outre-Atlantique.

Dans la 11e édition de Grand ReporTERRE, un concept qui est devenu un rendez-vous absolument utile, passionnant et vivant – Au passage, un grand bravo à Angélique Clairand et Éric Massé concepteurs de cette série théâtrale ! – dans cette édition donc, Zinn est en quelque sorte une figure tutélaire. Radio lapin est en effet une performance dans laquelle les artistes Sacha Ribeiro et Alice Vannier rencontrent le journaliste Antoine Chao pour évoquer, « appeler les voix » des luttes écologistes qui font épisodiquement l’actualité depuis la ZAD de Notre-Dame-de-Landes. On pense par exemple aux bassines de Sainte-Soline ou à la ZAD du chantier de l’A69 entre Toulouse et Castres. Il faut rappeler qu’Antoine Chao vient de l’émission Là-bas si j’y suis, cette perle rare du service public France-Inter, créée et animée par le célébrissime Daniel Mermet – heures glorieuses du radioreportage. Autant dire que Chao s’y connaît en radio engagée et en piratage des ondes, si besoin est. En plateau, la scénographie de Benjamin Hautin nous invite dans un studio de radio mais bricolé dans une ZAD, baraque de bois, technique un peu aléatoire mais fonctionnelle et café toujours au chaud. Nos trois compères écoutent, relaient, diffusent, discutent, émettent des sons et des idées. Un peu comme s’ils étaient non pas les historiens des lapins mais leurs journalistes ! Le studio devient chambre d’écho, lieu où l’on capte et reçoit du son militant et d’où on le renvoie, assurant ainsi et l’information et la médiation des gens en lutte ici ou là. La scène théâtrale devient donc un territoire en bagarre avec le réel, le pouvoir, la norme, le conformisme – ce qu’au fond tout bon théâtre a toujours été! Avec son joyeux désordre, sa liberté de ton et ses engagements, le studio de radio zadiste fait un gros pied de nez aux studios de la radio aseptisée voire, lobotomisée et lobotomisante ; colonisation des ondes qui sévit un peu partout y compris trop souvent, dans le Service Public d’information. Le capital craint tellement la liberté de pensée, qu’il tient absolument à se payer des médias…

Le plus drôle est que la métaphore léporidesque de Zinn a un écho chez nous puisque nous avons une chanson d’une certaine Chantal Goya aussi nationale que peu contestataire, qui nous raconte une histoire de lapin. Elle va même assez loin dans la subversion (involontaire ?) puisqu’elle nous annonce telle un scoop, que « Ce matin, un lapin a tué un chasseur… C’était un lapin qui avait un fusil ! » Dans leur performance, les trois compères ne se privent pas de passer presque en boucle cette chanson qu’ils transforment en chant de combat – le nom civil de la chanteuse est Chantal de Guerre ! En 1977, cette chanson enfantine avait plutôt une intention naïve et gentillette et d’ailleurs son clip montrait le chanteur Carlos tirer sur un chasseur mais avec un fusil dont la détonation faisait jaillir une fleur du canon ! Aujourd’hui, à l’heure des affrontements tendus et des violences policières envers les luttes environnementales, les paroles de la chansonnette résonnent de façon plus politique, voire révolutionnaire. À force de violence et d’injustice, il peut arriver un moment où les lapins, las de se faire tirer comme des lapins, s’emparent des fusils et visent les chasseurs ! D’ailleurs, il est édifiant de citer davantage la chanson de Goya : « Ce matin est arrivé quelque chose que personne n’aurait pu imaginer (…) c’est une révolution… Ils [les chasseurs] criaient « À l’injustice ! », ils criaient « À l’assassin ! » comme si c’était justice quand ils tuaient les lapins (…) devant la mitraille venue de tous les fourrés, abandonnant la bataille, les chasseurs se sont sauvés. » Belle fiction sur le juste renversement d’un rapport de force !

Sans rêver au « grand soir », Le Point du Jour reste fidèle à la devise du théâtre : « Il y a quelques cas où la fiction a changé le monde » Sa série Gand ReporTERRE en témoigne avec résolution et bonne humeur !

Jean-Pierre Haddad

Théâtre du Point du Jour, 7 rue des Aqueducs Lyon, (69005). Création les 5 et 6 mai 2025

Informations : https://www.pointdujourtheatre.fr/saison/grand-reporterre11_1

Tournée 2025-2026 : Festival Contre-courant au CMCAS, La Barthelasse, Avignon (84), le 16 juillet 2025 ; Théâtre des Célestins, Lyon (69002) les 3 et 4 novembre 2025 ; Théâtre de la Cité Internationale, Paris (75014), du 10 au 14 novembre 2025.

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