Thierry et Nora travaillent dans une usine de jouets dont la fermeture est annoncée. Cela tombe mal car Nora est enceinte. L’usine a été rachetée par un groupe japonais qui veut y produire des love-dolls japonaises, des poupées de silicone à taille humaine. Nora se fait élire comme déléguée du personnel et s’oppose à ce projet de reconversion, dont elle pense qu’il contribue à dégrader l’image de la femme et conduit notre société sur une pente qu’elle juge dangereuse. Thierry se voit proposer un poste de cadre dans la nouvelle organisation, ce qui implique une augmentation de salaire qui leur permettrait d’acheter la maison dont ils rêvent. Il a pris sa décision sans en parler à Nora qui se trouve de ce fait prise en étau. En outre le père de Thierry, qui vit avec eux, est en train de perdre la tête. Thierry pense que vivre avec une de ces poupées d’amour lui permettrait peut-être de progresser et se dit que s’il arrivait à convaincre le médecin de famille de publier les progrès obtenus et d’en donner une large publicité, cela lancerait l’activité de l’entreprise.

Olivier Lopez, qui a écrit la pièce et la met en scène, s’intéresse aux sujets à la fois révélateurs de notre société et de ses failles, comme en témoignaient son précédent spectacle Bienvenue en Corée du Nord, fruit d’une immersion de dix jours dans ce pays. Cette fois il s’intéresse à ces love-dolls, encore peu répandues en France, mais dont l’usage troublant se développe au Japon. On pense tout de suite à leur usage sexuel, mais il semble qu’il s’agisse de bien plus que cela, d’une relation qui permet de rompre la solitude. Les Japonais se promènent avec elles, les habillent, les sortent. On aurait souhaité qu’Olivier Lopez creuse davantage le sujet, ce qui était le projet initial, mais l’impact du COVID-19 l’a poussé à aborder aussi d’autres questions, les failles que créent dans le couple les problèmes d’argent, les questions que soulève l’actionnariat ouvrier, la place des femmes, le souci des parents vieillissants. Heureusement la pièce ne reste pas dans le documentaire et s’offre quelques élans, quelques pas de côté qui amusent, le « chapeau suggestif » de Nora, les références shakespeariennes de Louis, le père qui n’a pas tout oublié, ou la « reconversion » du médecin.

Le metteur en scène a aussi décidé de tenir compte du COVID en prévoyant une version pour la scène et une en streaming. Pour la version scénique deux caméras manipulées par le régisseur plateau ou un des interprètes captent au plus près les visages projetés sur deux écrans en fond de scène. Pour la version en streaming ce sont quatre caméras et un régisseur son qui ajoute un univers sonore. Les acteurs sont convaincants. Didier de Neck donne à Louis la fragilité obstinée du vieux monsieur dont la mémoire flanche, Alexandre Chatelin incarne un Thierry lancé dans un projet qu’il imagine plein d’avenir et qui se bat pour sa réussite, tandis que Laura Deforge a la prudence réfléchie de la déléguée. Quant à David Jonquières il est capable de troquer son costume de médecin pour un ailleurs qui séduit le spectateur.

On en sort avec une folle envie de discuter de cet avenir. Ce sera pour l’après-COVID, hélas !

Micheline Rousselet

Vu lors d’une représentation réservée aux professionnels au Volcan Scène Nationale du Havre Tournée prévue : 1er avril Scène Nationale de Dieppe – 8 avril Théâtre des Halles Avignon – 14 avril Halle aux grains à Bayeux – 16 avril Merville-Franceville – 7 au 30 juillet Festival OFF d’Avignon Théâtre des Halles

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