Au milieu du plateau de théâtre une chaise et dessus, une personne menue au nez rouge et au chapeau en cloche. Qui derrière ce nez ?

On dit d’elle qu’elle est une clowne du nom d’Emma. Une clowne est-elle forcément drôle à se rouler par terre ? Une clowne peut-elle faire rire intérieurement avec philosophie, dans la finesse et la délicatesse, en étant assise et pratiquement sans bouger de sa chaise ? Pourquoi pas. Quant au lieu, est-il vraiment vide ? Pas tant puisque la parole d’Emma se déploie et habite fortement l’espace, salle comprise. En même temps, il est vrai que sa parole fait le vide mais en nous ! Elle opère par une magie discrète comme dans une séance de relaxation sauf qu’on est plusieurs centaines, assis et riant… Méditation de plein humour.

En général, les clowns jonglent, font des mimiques, des farces, des pitreries, ils se cassent la figure, se relèvent et retombent… Emma fait tout cela aussi mais avec des mots et de drôles mimiques de visage. Emma parle avec simplicité et tendresse du vide, elle nous vide du futile pour nous remplir d’une réflexion sur la vie.

En même temps, Emma met en garde : « Ne pas se projeter »… surtout pas dans le vide ! Le vide, ça peut nous faire peur. Nous qui remplissons nos bibliothèques avec des livres qu’on n’aura jamais le temps de lire du fait de nos existences trop remplies de petits riens et de grands vides que nous prenons pour essentiels ; nous qui tenons nos frigos aussi pleins que nos agendas et inversement. Qui demeure derrière nos vies trop remplies pour être pleinement satisfaisantes ? En suivant Emma, guide spéléologue experte en gouffre de non-sens et en évidemment du quotidien pour le remplir d’humour et d’amour, nous prenons confiance et le vertige ne nous effraie plus. Comme un clin d’œil entre adultes encore enfants, la clowne gonfle de petits ballons de baudruche colorés et les lâche dans l’air pour qu’ils y fassent leur numéro de voltige improvisée, aléatoire et réjouissante. Facétieux ballons-clowns ! Ou bien, elle transforme un numéro du lotus zen en art de faire le vide pas seulement en soi mais sous le tabouret…

Mais qui demeure en ce lieu vide qu’est un théâtre en pleine nuit ? La servante ! Oui, cette veilleuse qu’on laisse éclairée sur le plateau quand tout le monde a quitté les lieux. Rituel et sentinelle d’un lieu hanté de tant de fantômes engendrés par les auteurs, incarnés sur scène. Emma en convoque quelques-uns,  Shakespeare, Racine, Molière, Beckett. En compagnie nocturne de la servante, libéré de son texte, Hamlet se lancerait : Where to be?  Why to be? ou encore Who to be? Et Godot, cet éternel retardataire? Et si c’était la nuit qu’il se pointait quand plus personne ne l’attend, pour bavarder avec cette servante bien-veillante

Emma nous rappelle qu’elle a trente ans de scène, née en 1991 dans un duo de clown visuel et musical avec Gaetano Lucido. Alors elle se met à parler à Meriem Menant, son double resté en coulisse mais qu’elle parvient à faire venir sur scène pour se montrer dans le personnage d’Emma. Un jour Meriem devra vivre sans Emma qu’on aima tant ! Sans nez ni chapeau, c’est justement elle qui nous salue à la fin du spectacle d’Emma. C’est aussi Meriem qui fait monter sur scène Kristin Hestad, cette amie du nord qui fait ses mises en scène.

Une fin d’Emma ? On n’y croit pas ! Ou alors son fantôme au nez rouge nous hantera encore longtemps…
Jean-Pierre Haddad

Après le 16 septembre 2022 à la Scala Paris, en tournée le 14 octobre 2022, Scènes du Golfe à Vannes ; du 8 au 11 décembre 2022 à la Scala Paris ; le 12 avril 2023 Scène nationale d’Alençon ; le 9 mai 2023 Théâtre de Saint- Barthélemy-d ’Anjou.  

Photo © Pascal Gely (Argentan le 26 mai 2021)

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