Théâtre : qui a tué mon père

C’est à la demande de Stanislas Nordey, acteur et metteur en scène reconnu, que Édouard Louis a écrit ce texte. C’est à une réconciliation avec ce père honni dans En finir avec Eddie Bellegueule que l’auteur nous convie, un père machiste honteux de l’homosexualité de son fils et conscient que son fils s’éloigne de lui par ses études, échappant ainsi au destin ouvrier de la famille. On pense bien sûr à Didier Eribon qu’Édouard Louis cite d’ailleurs. Le livre offre un portrait différent de cet homme qui fut un père aimant, mais un homme victime des stéréotypes de son milieu, incapable de dire son amour et de laisser libre cours à ses émotions car tout cela relevait d’une « féminité » qu’un homme devait fuir. Mais le texte va au-delà de la tentative de compréhension car celui que le fils retrouve a, à cinquante ans, un corps usé par le travail et abîmé par un accident du travail. Il dépasse alors la déclaration d’amour pour s’engager dans la dénonciation de la réalité sociale et des politiques qui obligent un homme handicapé à reprendre un emploi physiquement difficile pour garder ses droits à indemnité. Et Édouard Louis nomme les hommes politiques qu’il accuse car, dit-il, on ne peut pas les laisser dans le cocon de l’anonymat.

Théâtre : qui a tué mon père
Théâtre : qui a tué mon père

Quand la pièce commence, Stanislas Nordey est assis à une table face à un mannequin, main posée sur le front cachant son visage. Au fur et à mesure de l’avancement de la pièce, d’autres mannequins identiques, cinq au total, le rejoindront aux quatre coins du plateau dans des positions différentes, images de ce père muet auquel s’adresse le fils car lui seul possède les capacités de dire, le père en étant privé par son éducation et son habitus social. Les trois murs de la scène sont occupés par une photo en noir et blanc d’une petite ville ouvrière un peu triste avec ses maisons identiques.

Ce long monologue apparaît tout de suite comme un matériau idéal pour Stanislas Nordey. Il sait proférer les mots et lancer un texte à travers une salle. Le comédien se déplace lentement, comme pour contenir la passion et l’enfermer uniquement dans la voix intense et ferme qui fait vivre chaque événement. On passe du souvenir aux interrogations sur les malentendus qui ont marqué la relation du père et du fils, de l’anecdote à la réflexion sur ce qu’elle révèle des inégalités sociales. A la fin il lance son « j’accuse » empli d’une colère froide, le regard brûlant face à la salle.

Certains penseront que le théâtre ne doit pas être un brûlot militant et diront que le texte manque de poésie. Mais il y a dans cette pièce une empathie pour ceux que les milieux favorisés appellent « les gens d’en bas » et l’on y entend des vérités que l’on aimerait entendre plus souvent. Le public ne s’y trompe pas, les jeunes en particulier qui ont fait un triomphe à la pièce que Stanislas Nordey porte d’une façon remarquable.

Micheline Rousselet

Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30

Théâtre National de la Colline

15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 44 62 52 52

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