Quand je serai grande et Quand je serai un homme ne sont pas des jumeaux mais deux spectacles parfaitement autonomes pouvant être vus chacun pour lui-même. Ils forment cependant un diptyque, deux volets d’un même questionnement comme deux partenaires d’un couple hétérosexué dont chaque membre existe bien indépendamment de l’autre mais où chacun ne se sent complet qu’accompagné. Cela tient au fait qu’au-delà même de la logique sexuée du couple, les deux pièces traitent chacune d’un des genres qui constituent l’humanité du moins selon la norme dominante puisque désormais on peut être en effet un.e humain.e cisgenre si notre identification de genre colle avec l’assignation reçue à la naissance mais aussi un.e humain.e transgenre ou encore tout simplement un.e humain.e non-binaire, dans les années 1920 on aurait dit genre neutre.

Mais Catherine Hauseux et Stéphane Daurat ont voulu situer leur jeu et les Je de leurs personnages dans la binarité qui d’ailleurs peut inclure l’homosexualité. L’intérêt de ce parti pris est de donner un état de la question par ailleurs conceptualisée par la Gender Theory de Judith Butler.

Quand je serai grande met en jeu le devenir femme dans la diversité, la complexité et la revendication d’un sujet féminin qui se cherche dans la liberté personnelle et Quand Je serai un homme en fait autant avec le devenir sujet masculin. Car si le premier a pu paraître très assujetti du fait de sa condition de dominé, le second, quoique assigné à la place de dominant, ne l’a pas été moins. D’ailleurs, on note une franche asymétrie entre les deux titres comme s’il s’agissait de nécessairement devenir un « homme » quand on est un « garçon », alors que pour une « fille » il faut d’abord passer par « être grande » ; le petit garçon étant projeté dans une assignation virile évidente, la petite fille devant, elle, d’abord faire la preuve de sa maturité, en particulier de son aptitude à être non seulement femme mais nubile ou potentiellement mère. (Tant pis pour les premiers qui font souvent preuve d’une certaine immaturité !) Heureusement que ce vieux monde idéologique a commencé de s’effondrer dans le dernier quart du siècle dernier, apocalypse annoncée par la prophétesse que fut Simone de Beauvoir dès les années 1950 avec Le deuxième sexe !

A travers donc une double galerie de personnages de femmes et d’hommes, le diptyque nous montre qu’il était souhaitable qu’il s’effondrât tant la souffrance engendrée, les brimades sociales ou les désirs refoulés qu’il induisait était grands. Du côté masculin, c’était le cas pour les homosexuels ou les pères divorcés privés de garde alternée et leurs enfants privés de paternage. Du côté féminin, il fallait en finir avec l’assignation aux tâches ménagères, dénoncer les agressions sexistes d’un quotidien machiste, retourner le stigmate misogyne en accusant tous les paternalismes, de la famille aux lieux de travail. Il fallait montrer aussi le courage qu’une femme devait avoir pour conquérir une indépendance.

Dans une mise en scène par petites touches bien senties, corde à linge qu’on charge en évoquant la charge mentale des femmes, dans des costumes qui se déclinent en deux couleurs, le rouge et le noir avec peut-être une symbolique politique, les comédiens au talent à la fois évident et discret font défiler divers personnages conçus comme des types sociologiques. Il faut dire que le travail d’écriture s’est élaboré dans le cadre d’une résidence artistique durant laquelle Catherine Hauseux a interrogé des femmes sur leur féminité et des hommes sur leur masculinité mais aussi les uns et les autres sur leurs rêves d’épanouissement ou d’égalité. Une population mixte de toutes origines, de tous âges, de tous milieux socio-culturels.

Quand je serai… femme ? homme ? Dans le fond, ce que donne à penser au final ce spectacle à double entrée est une seule et même idée qui transcende ou traverse les genres : grandir, c’est avant tout s’émanciper et devenir soi. Le futur dans les titres doit être entendu comme un présent à reconduire chaque jour tant l’enjeu est vital.

Jean-Pierre Haddad

Festival off d’Avignon. Théâtre des 3 Soleils, 4 rue Buffon, https://www.les3soleils.fr/ Jours impairs à 11h35, Quand je serai grande ; jours pairs à 11h35, Quand je serai un homme. Réservations : 06 20 17 42 18


Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu