Lorsqu’on a proposé au comédien et metteur en scène suisse Michel Voïta, que l’on a souvent vu au cinéma et à la télévision, de faire une lecture de Proust, il a hésité. Sans adhérer au jugement d’un éditeur qui avait dit : « Je ne puis comprendre qu’un Monsieur puisse employer trente pages à décrire comment il se tourne et se retourne dans son lit avant de trouver le sommeil », il s’était toujours arrêté aux premières difficultés dans sa lecture et se situait plutôt du côté de Barthes qui disait « le bonheur avec la lecture de Proust, c’est qu’on ne saute jamais les mêmes passages ». Cette proposition de lecture lui apparut comme une opportunité et il se mit au travail. Il tâtonna longtemps et les analyses ne l’éclairaient pas, jusqu’au jour où, réfléchissant sur le passage où le jeune garçon invente un stratagème pour que la domestique Françoise porte à sa mère, en train de dîner avec ses invités, une lettre qui l’incite à venir dans sa chambre lui dire bonsoir, il comprit qu’il ne fallait pas dire Proust, mais le jouer.
Jouer Proust donc, comme n’importe quel rôle. Pour cela Michel Voïta a choisi trois extraits pris dans le chapitre 1 de La Recherche . Du début où le narrateur parle de sa recherche du sommeil, des courts réveils où il écoute tous les petits bruits de la maison jusqu’au demi-sommeil qui « donne le branle à la mémoire », il nous conduit jusqu’à l’évocation de la madeleine en passant par l’attente du baiser maternel par le petit garçon. En chemise et pantalon noirs le comédien arrive, tenant en main Du côté de chez Swann dans une édition de poche. Quand il le pose, il ferme les yeux, semble se réveiller, frotte ses joues contre l’oreiller, se rendort puis se réveille à nouveau ouvrant la porte de la mémoire, de Combray. Il devient l’enfant qui espère que sa mère va venir, il prend le visage irrité de Françoise qui condamne ses enfantillages, il redevient l’enfant, poings serrés et visage excité, tentant d’ imaginer un stratagème pour parvenir à ses fins, il prend la voix de son grand-père, celle des tantes. Sa diction impeccable rend fluides les longues phrases, fait défiler la galerie des personnages et ressentir les nuances des émotions. Et l’on redécouvre, n’en déplaise aux thuriféraires compassés, que Proust avait de l’humour. Le texte devient accessible, intéressant. Michel Voïta a raison, Proust est fait pour être dit.
Micheline Rousselet
Le samedi à 21h et le lundi à 20h
Théâtre de la Huchette
23 rue de la Huchette, 75005 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 43 26 38 99
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