Elisabeth Bouchaud est une femme étonnante. Physicienne de formation, diplômée de l’Ecole Centrale de Paris, elle a publié de nombreux articles scientifiques dans des revues spécialisées, encadré des thèses, enseigné et reçu de nombreux prix. Elle est aussi actrice, autrice de pièces de théâtre et depuis 2014 directrice du Théâtre de la Reine Blanche dont elle a fait la « scène des arts et des sciences ». Elle s’est lancée dans l’écriture d’une série théâtrale Les Fabuleuses mettant en scène des femmes scientifiques d’exception qui se sont fait voler leurs découvertes par des hommes et qui n’ont jamais obtenu le prix Nobel qu’elles méritaient. Dans le premier épisode Exil intérieur qui se joue jusqu’au dimanche 28 avril, elle met en scène Lise Meitner qui a découvert la fission nucléaire mais a dû abandonner ses recherches pour fuir l’Allemagne nazie. Dans Prix No’Bell, elle s’intéresse à Jocelyn Bell, jeune étudiante irlandaise en physique à l’origine de la découverte des pulsars. L’Affaire Rosalind Franklin qui sera jouée du 7 au 22 mai montrera comment Rosalind Franklin a été à l’origine de la découverte de la structure de l’ADN.
Quand la pièce commence, Jocelyn Bell (Clémentine Lebocey) apparaît en théâtre d’ombres, comme un symbole de son absence de reconnaissance. Sous une tente, elle soude des composants d’un radiotélescope pendant que le technicien s’active à monter les piquets du champ d’un télescope. La structure mobile du scénographe Luca Antonucci qui avait déjà conçu un décor très efficace pour Exil intérieur permet de démultiplier l’espace avec une grande fluidité et les murs deviennent écrans où sont projetés les très belles images du monde céleste, travail video remarquable de Guillaume Junot.
Dans les années 1960, Jocelyn Bell, qui a déjà subi les sarcasmes des étudiants à l’université de Glasgow lors de ses études de physique, est en thèse à l’université de Cambridge sous la direction d’Antony Hewish (Benoit Di Marco) qui se moque d’elle lorsqu’elle lui fait part de sa découverte d’un signal différent. Mais elle finit par le persuader de l’importance de sa découverte. Il va alors s’en emparer pour écrire des articles sans mentionner son nom et il obtiendra le prix Nobel pour cette découverte en 1974. Tout cela pourrait paraître bien complexe à des spectateurs néophytes mais Elisabeth Bouchaud a eu l’excellente idée de créer un personnage fictif, une amie et colocataire de Jocelyn, Janet (Roxane Driay), qui fait des études de théologie et qui ne comprend rien à l’astrophysique ce qui oblige Jocelyn à lui fournir des explications très claires. Cette très belle relation amicale permet aussi d’aborder de nombreux autres sujets : le rôle des femmes, la religion, le hasard et le déterminisme, la foi et la science et les relations amoureuses…
La mise en scène de Marie Steen et le jeu des deux actrices font magnifiquement ressortir la complicité des deux femmes mais aussi leurs passions et leurs doutes. Jocelyn se sent illégitime en tant que jeune étudiante irlandaise, elle se dévalorise, n’a pas confiance en elle et compense en travaillant sans relâche. Janet, pleine de vie, finit par douter de ses études de théologie et même de l’existence de Dieu. Elle se révolte violemment contre l’injustice qui est faite à Jocelyn par son directeur de thèse, acteur d’une grande justesse dans son rôle patriarcal, alors que Jocelyn Bell accepte cette situation comme une fatalité de l’organisation sociale qui fait que nous vivons dans un monde où les hommes s’entre-tuent et où les femmes pardonnent. Cette phrase apparaît dans les deux pièces.
Un très beau spectacle très instructif sans être ennuyeux, comme le précédent d’ailleurs. Le rythme est enlevé et les chansons merveilleusement interprétées par Clémentine Lebocey reflètent bien l’esprit de l’époque (les Beatles puis David Bowie) . A l’heure où la réforme du BAC entraîne une diminution du nombre de jeunes femmes choisissant des études scientifiques, n’hésitez pas à amener vos élèves découvrir ces spectacles.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 25 avril, les mardis, mercredis et jeudis à 19h – Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle, Paris 18ème – Réservations : 01 40 05 06 96
Pour le spectacle, Exil intérieur – Jusqu’au 28 avril, les vendredis à 19, les samedis à 18h et les dimanches à 16h
Pour le spectacle L’Affaire Rosalind Franklin – du 7 au 22 mai, les mardis, mercredis et jeudis à 19h, les samedis à 18h et les dimanches à 16h.
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