
Assistante de Louis Jouvet avant la guerre, Charlotte Delbo a été déportée en janvier 1943 à Auschwitz-Birkenau. Elle était résistante et communiste. Son mari, arrêté en même temps qu’elle, sera fusillé peu après leur arrestation au Mont Valérien. Elle restera à Auschwitz jusqu’en janvier 1944 puis sera transférée à Ravensbrück jusqu’en avril 1945. À son retour elle commence à écrire, des récits, des poèmes, du théâtre. Elle décrit ce que fut la déportation, raconte d’une plume acérée le froid, les attentes lors des appels interminables, la faim, les squelettes gelés que l’on évacue sur des brouettes trop petites à l’aube, la fatigue, la saleté, les poux, mais aussi la solidarité qui liait ces résistantes déportées en même temps qu’elle. Charlotte Delbo témoigne de ces moments où une camarade fait obstacle avec son corps pour la cacher aux yeux d’une Kapo afin qu’elle puisse se reposer un peu alors qu’elle est épuisée, ou celui où ses compagnes réussissent à voler un seau d’eau, qu’elle avale comme un cheval, alors qu’elle meurt littéralement de soif. Elle se disait que si elle arrivait au bout de sa mémoire, elle mourrait. Alors avec les autres, elles se rappelaient des poèmes, des répliques de Molière. Et un jour, à Ravensbrück, en échange d’un morceau de pain, elle obtient un exemplaire du Misanthrope arrivé là par on ne sait quel miracle et avec ses compagnes elles jouent la pièce devant les Polonaises enfermées comme elles.
Marie Torreton a adapté ici des textes de Charlotte Delbo, qu’elle interprète. Vincent Garanger l’a mise en scène très sobrement. Une lampe allumée au-dessus du plateau de la petite salle de la Scala, comme la sentinelle qui veille dans les théâtres désertés la nuit, l’attend. Elle arrive lisant l’arrivée au camp, puis s’appuie au mur évoquant ces longues attentes nocturnes. Face à nous ou assise sur les marches au plus près du public elle porte avec calme et douceur la parole de Charlotte Delbo, la cruauté des SS, l’envie qui prend de tout abandonner, la camarade qui vous en empêche, les mortes auxquelles on dit adieu, la libération du camp comme quelque chose que l’on a du mal à croire et le constat final « Je reviens d’un autre monde. Je suis encore là-bas et je meurs là-bas ». Marie Torreton est bouleversante et le public est ému aux larmes.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 24 juin au Théâtre La Scala, 13 bld de Strasbourg, 75010 Paris – les mardis à 19h15 – Réservations : 01 40 03 44 30 ou https://lascala-paris.fr
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