Récif ou récit ? Civilisation ou servitude ? Ces mots distordus ou mots valises qui semblent des ratages, des accidents de prononciation sont-ils dits à la place d’autres qui seraient les mots justes ? Et s’ils étaient non seulement voulus et pensés mais longuement mijotés ou instantanément surgis comme la vérité crue des mots habituels, conventionnels et surtout convenus ? Comme les diagnostics de nos maux ? Ces mots sont deux exemplaires de tous ceux qui nourrissent le spectacle admirable, unique et nécessaire de Michel Bruzat qui, dans la continuité de Comment va le monde ? et de Ridiculum vitae, a composé un petit bijou satirique et salutaire en piochant et montant ensemble des textes du génialissime clown québécois que fut Sol alias Marc Favreau (1929-2005).

En cinq actes qui s’enchaînent comme des perles sur un collier, ce sont de grands moments d’une histoire universelle des humains écrite avec drôlerie, esprit critique et espièglerie qui se déroulent devant nous. On y trouve revisités et remis en mots (ou en moquirie) le mythe d’Adam au « jardin du Paradoxe », premier venu rencontrant son « évanaissante », la « Révélation française » et tous ses « pensifs qui se révoltairent », la « Conquête de la Chimérique » avec ses premiers « collants » chassant les « indigents », la Paix dont on voudrait qu’on nous la fiche…la paix ! mais que personne n’a jamais vue, pas même à la « rétrovision » où qu’on en parle sans cesse ! Le « contrôle des essences » qui nous donne bien « du pin sur la plante », la Santé qui « passe avant tout » au point de nous passer devant sans qu’on puisse la rattraper, la médecine avec ses grands prêtres de médecins à « l’amphétamine radieuse », les mouvements de populations avec les « hommades » qui forcément envient les « excédantaires », etcétéra ou plutôt mais c’est des rats pour rester dans le ton ! Autant de relectures de notre civilisation, autant de mots à lire avec nos oreilles. Et surtout de mots à entendre et à voir sur la scène des Déchargeurs.

Mots dits et joués par une fantastique arlequine ! Marie Thomas est absolument absolue, sans égale actuelle. Elle est le clown Sol au féminin singulier, son double renaissant changeant la cravate en nœud papillon « voléoptère ». La comédienne éclectique, formée au conservatoire de Limoges par Michel Bruzat lui-même, ne joue pas un rôle, elle incarne la poésie lunaire de Sol. Funambule sur la concorde des rires, elle emplit nos têtes de vertiges surréalistes qui dérangent avec bonheur notre conformisme encroûté. La nostalgie de sa présence et de son dire nous étreint, à peine le rideau de lumière tombé sur le plateau noir. Elle est une source d’où jaillit comme une eau vive et rafraîchissante une parole aussi folle que vraie, aussi drôle que grave. Son corps a l’agilité subtile de ses jeux de mots. La fantaisie de son langage est en harmonie totale avec sa gestuelle, sa physionomie, son costume, tout cela devenant la peau de son personnage, fou du roi d’une démocratie à décrasser.

Ne pas manquer ce Sol en scène qui atteint la pairefection !

Jean-Pierre Haddad

Jusqu’au 24 avril, aux Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs 75001 Paris – Les mercredis, jeudis, vendredis et samedis à 19h15. Infos et réservations au 01 42 36 00 02 ou https://www.lesdechargeurs.fr

Texte du spectacle édité par Camino Verde en vente au guichet du théâtre ou sur Internet.

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