La révolution française et les personnages de Robespierre et Danton constituent une matière éminemment théâtrale. On peut penser à La mort de Danton de Georg Büchner en 1837, Notre Terreur, création collective mise en scène par Sylvain Creuzevault en 2009, Ca ira de Joël Pommerat en 2015 et Les racines de la liberté, Danton et Robespierre de Hugues Leforestier joué à Avignon l’année dernière. Mais que faire de ce matériau historique ? Comment articuler histoire et fiction sans trahir l’histoire mais aussi sans tomber dans la leçon d’histoire didactique, sans reprendre l’image d’un Robespierre extrémiste, incorruptible, insensible. Philippe Bluteau en choisissant de faire s’affronter non Robespierre et Danton ou Robespierre et Camille Desmoulins mais Robespierre et Lucile, la femme de Camille, a humanisé Robespierre et donné aux femmes leur place dans la révolution française.

Nous sommes le 31 mars 1794 très tôt le matin. Lucile Desmoulins (Kelly Rovera) arrive désespérée chez Robespierre. Son mari, le journaliste Camille Desmoulins, a été arrêté sur ordre du Comité de Salut public dans la nuit. Elle compte sur Robespierre (Clément Boecher), ami d’enfance de Camille, témoin de leur mariage et parrain de leur fils pour qu’il fasse libérer son mari. Mais elle va apprendre de Robespierre qu’il a signé cet arrêt et ne va pas trouver le soutien attendu. S’ensuit entre Lucile et Maximilien un affrontement verbal passionné qui mêle raison d’état, philosophie et sentiments personnels. Elle tente de le convaincre au nom du grand principe révolutionnaire de liberté, notamment la liberté de la presse, mais aussi de leur longue et sincère amitié. Face à elle, se révèle un Robespierre troublé, déchiré entre sa volonté de ne suivre que la loi et ses sentiments profonds qui viennent fissurer son image de froideur. La présence d’Eléonore Duplay (Manon Glauninger en alternance avec Victoire Nier), jeune fille de la famille chez qui loge Robespierre et à qui il est promis, ajoute à l’humanisation de Maximilien, accentue la tension dramatique et met en lumière le rôle des femmes.

Les trois comédiens, Clément Boecher, Kelly Rovera et Manon Glauninger, qui fait aussi la mise en scène, sont très justes dans leur rôle. Clément Boecher est un Robespierre à la fois droit et fragile. Son visage très plastique et sa gestuelle traduisent bien les émotions qui le traversent. Kelly Rovera est une Lucile désespérée et déterminée à la dialectique efficace. Manon Glauninger joue une Eléonore admirative et sincèrement amoureuse.

Le huis-clos où se déroule l’action, chambre sombre de Robespierre avec un simple lit, un bureau, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la carte de la France révolutionnaire et un planisphère, accentue le caractère tragique de l’affrontement où se joue l’avenir de la révolution.

Il faut saluer le travail d’écriture en vers de Philippe Bluteau et l’interprétation des comédiens dirigés par Manon Glauninger qui ont donné aux alexandrins toute leur force et leur beauté.

Ne manquez pas ce très beau spectacle qui nous émeut et nous amène à nous interroger sur la difficulté à concilier sentiments et idéaux politiques et éthiques sans se renier.

Frédérique Moujart

Du 29 juin au 21 juillet à 19h55 sauf les 1-8-15 juillet – Le Petit Louvre, salle Van Gogh, 23 rue Saint-Agricol, Avignon, festival off – Réservation : 04 32 76 02 79 ou theatre-petit-louvre.fr – de septembre 2024 à janvier 2025, les jeudis à 19h, Guichet Montparnasse, 15 rue du Maine, Paris 14ème – Réservation : 01 43 27 88 61


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