
Jean-François Sivadier se penche sur l’histoire des Atrides, une histoire où se mêlent le politique et l’intime, le tragiquement humain et l’invraisemblable, sous l’œil cruel des Dieux qui mènent la danse, une histoire « pleine de bruit et de fureur » où abondent incestes, viols, infanticides, trahisons, meurtres en tous genres et violences à tous les étages. « Une », parce que de cette histoire tirée de la mythologie grecque, qui n’a cessé d’inspirer les auteurs à travers les âges, Jean-François Sivadier propose une version réécrite en s’inspirant des textes d’Eschyle, Sophocle, Racine et Sénèque.
Il n’hésite pas à mélanger les genres. Les références à Shakespeare sont nombreuses. Comme lui il passe de la tragédie au grotesque et pour éclairer cette histoire compliquée il insère des résumés, des flash-back pour faire comprendre d’où tout cela est parti. Tout en faisant ressortir ce que cette histoire a d’universel, il l’actualise par le ton et l’ironie, même si c’est parfois un peu lourd. « Ma femme est partie avec un mec, la Grèce est attaquée » dit Ménélas. Quelqu’un fait remarquer que tout ça n’est après tout qu’une « histoire de cul » et qu’Hélène n’est qu’une putain. Derrière ce ton se cachent aussi des vérités profondes. Clytemnestre dit crûment à son époux que la guerre est une absurdité où les hommes ne cherchent que leur propre gloire. Elle interpelle Ménélas sur le sacrifice d’Iphigénie, exigé par les Dieux pour que les vents soient propices au départ des navires pour Troie, en disant avec colère que ces Dieux ne sont que pure fiction. Dans cette guerre de Troie les guerriers parlent de frappes chirurgicales, les rumeurs et les fake news abondent au fur et à mesure que la guerre dure. Lorsque quelqu’un dit « Hector a tué Patrocle, il ne faut rien dire à Achille car c’est son ami », un autre rétorque « c’est pas son ami, c’est son amant » et un autre « c’est pas son amant c’est son cousin » et le dernier conclut « c’est selon les versions » !
Jean-François Sivadier offre ici un matériau taillé sur mesure aux quatorze jeunes acteurs et actrices, en grande partie issus de la promotion 23 du CNSAD-PSL. Ils excellent dans la distance et l’ironie choisies par l’auteur et metteur en scène. La musique tout comme les costumes participent de ce ton. Agamemnon et Ménélas arrivent en costumes de généraux d’opérette, Achille porte cuirasse mais se comporte comme un coach sportif. Oreste, encore enfant lors du sacrifice de sa sœur Iphigénie, a un bonnet de chat sur la tête et suce son pouce tandis que l’adolescente Iphigénie porte une petite jupe plissée et un sac à dos. La déesse Artémis se pavane boa autour du cou, tandis qu’Égisthe arbore lunettes de soleil et tenue bling-bling. La violence est là avec le sacrifice d’Iphigénie arrachée à ses frères et sœurs par son père et son oncle mais il y a toujours une distance. Seule une toile se remplit de rouge pour porter la trace du sacrifice.
Les jeunes acteurs se lancent avec fougue dans ce spectacle foisonnant et généreux. Ils n’hésitent pas devant l’extravagance, la démesure, l’incongruité des propos. Ils sont libres et les spectateurs les suivent avec enthousiasme. Jamais on n’avait ri ainsi à ces tragédies grecques et pourtant jamais n’étaient apparues aussi clairement l’enchaînement des violences et des vengeances propres à toutes les guerres. Une magnifique réussite.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 29 juin au Théâtre du Rond-Point – 2bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris – en tournée ensuite : du 12 au 14 mars 2026 au Liberté, Scène nationale de Toulon, 21 et 22 mars 2026 au Théâtre Sénart, Scène nationale /Lieusaint (77), du 26 au 28 mars 2026 au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines et l’Onde à Vélizy-Villacoublay (78), 5 et 6 mai 2026 à la Comédie de Clermont-Ferrand, du 10 au 13 juin 2026 au Théâtre des Célestins à Lyon
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