Ce portrait s’insère dans la série des portraits croisés qu’avait imaginés Marcial di Fonzo Bo à son arrivée à la tête de la Comédie de Caen. Élise Vigier, qui dirige l’institution désormais, a eu l’idée de croiser dans ces entretiens imaginaires écrits avec Kevin Keiss, des écrits de Baldwin et des interviews d’Avedon avec des entretiens avec ceux qui les interprètent ici, Marcial di Fonzo Bo et Jean-Christophe Folly.
Le romancier noir et homosexuel James Baldwin né à Harlem et le photographe juif, blanc et hétérosexuel Richard Avedon né dans le Bronx s’étaient connus au lycée. Tous deux ont dû batailler pour s’affirmer en tant qu’artistes, Avedon parce que son père voulait en faire un homme d’affaire, Baldwin parce qu’il vivait dans une société « où il n’était qu’une portion négligeable ». Devenus des artistes reconnus, ils ont fait un livre ensemble, Nothing personal, offrant un portrait critique de l’Amérique des années 60, avec son impérialisme et sa vision tronquée de l’histoire où l’extermination des peuples indiens et l’esclavage ne sont considérés que comme des épiphénomènes. Dans ces années 60 où Bob Dylan chante The times they are a-changing et où l’égalité raciale commence à progresser, Avedon se heurte pourtant au conformisme de la société américaine, qui n’accepte pas sa double page mettant en regard un portrait d’Allen Ginsberg nu et celui d’un néonazi en tenue hitlérienne. Quant à Baldwin il constate que les distinctions raciales, sexuelles et de classe entravent toujours l’intégration des Noirs et des homosexuels. Même si bien des années les séparent de leurs interprètes, il y a des points communs dans leur parcours. Comme Baldwin qui a fui le racisme aux États-Unis et a beaucoup vécu en France, Marcial di Fonzo Bo a fui la dictature argentine pour la France. Comme Avedon il photographiait beaucoup son entourage quand il était enfant à Buenos Aires. Quant à Jean-Christophe Folly, ce sont ses parents qui ont connu l’exil, et lui dans son enfance n’a pas échappé aux remarques racistes.
Les deux comédiens évoluent sur un plateau neutre, qui pourrait aussi bien être le studio photo où Avedon et Baldwin travaillaient sur leur livre, que la scène où Marcial di Fonzo Bo et Jean-Christophe Folly travaillent le spectacle. On entend Bob Dylan annonçant des temps qui changent mais aussi Bessie Smith disant It’s a long road. En fond d’écran apparaissent des vidéos évoquant le New-York des années 60 ou l’élégance de Fred Astaire dansant, des portraits célèbres d’Avedon, la Factory avec Andy Warhol ou Marguerite Duras, aussi bien que les petites photos de famille de Marcial di Fonzo Bo. C’est la question de la construction de soi en tant qu’artiste dans des sociétés où les questions d’intolérance et d’exclusion sont loin d’avoir disparu que mettent en lumière les deux comédiens avec talent.
Micheline Rousselet
Du 29 mars au 3 avril à 20h30 puis du 6 au 17 avril à 21h au Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris – Réservations : 01 44 95 98 21 ou theatredurondpoint.fr
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