C’est le plus ancien des grands auteurs tragiques grecs, Eschyle, qu’Olivier Py a choisi pour ce qu’il a appelé Trilogie de la guerre. Dans ce spectacle rassemblant Prométhée enchaîné et Les Suppliantes il a trouvé un écho à certaines des problématiques qui agitent notre démocratie.

Prométhée, un des Titans, s’est opposé au pouvoir du tout nouveau roi de l’Olympe Zeus après sa victoire sur Chronos. Alors que Zeus veut anéantir la race humaine pour en fonder une nouvelle, Prométhée s’y refuse et donne aux hommes le feu symbole de la connaissance, qui leur donne accès à l’écriture, aux mathématiques, à l’agriculture, à la navigation, à la médecine, à la métallurgie et aux arts. Sur l’ordre de Zeus Héphaïstos l’enchaîne sur un rocher où il sera brûlé par le soleil. Il reçoit la visite d’Océan qui promet d’intercéder auprès de Zeus, puis d’Io qui lui raconte ses malheurs. Lorsqu’il révèle, utilisant ses pouvoirs de divination, que sa punition ne sera pas éternelle, qu’il sera délivré par un descendant d’Io et que Zeus sera renversé, celui-ci lui envoie Hermès pour qu’il révèle son secret. Prométhée refuse. Zeus le condamnera à un nouveau supplice. Un aigle lui dévorera le foie qui se régénérera pour être à nouveau dévoré le jour suivant. Refus d’obéissance face à la folie du pouvoir, louange de celui qui a donné aux hommes la connaissance et en paie un prix très lourd et appel à l’insurrection font la force très actuelle de cette tragédie vieille de 2500 ans.

Dans Les Suppliantes, les Danaïdes, fuyant l’horreur de viols promis, se sont réfugiées avec leur père, lointain héritier d’Io après qu’elle eût retrouvé sa forme humaine, dans un sanctuaire à Argos. Bien que ce soit le berceau de leur race, le roi commence par les considérer comme étrangères en raison de leur peau plus sombre. Elles implorent sa protection et, après approbation par son peuple, il la leur accorde et repousse la demande brutale d’un héraut égyptien venu les réclamer, tout en sachant qu’il signe ainsi une déclaration de guerre. Cette fois c’est de la place des femmes, de la défense de leurs droits, de l’accueil des étrangers et de l’asile que nous parle Eschyle, des thèmes là aussi très actuels.

Ce que veut Olivier Py avec cette mise en scène, c’est « renouer des liens entre le théâtre et la cité » avec un théâtre d’intervention que l’on peut jouer un peu partout, comme une façon de reconstituer l’agora, petit groupe par petit groupe. Dans un dispositif bifrontal, les spectateurs sont placés sur deux ou trois rangs au plus près des acteurs, qui évoluent sur un praticable devant eux, sans effets ni décor. Les trois acteurs, pantalons noirs intemporels, chemise blanche pour elle, torse nu pour Prométhée, jouent Prométhée, les Dieux, les Suppliantes, les Rois, l’Océan, les foules. Seules petites exceptions, Hermès arrivant lunettes de soleil sur le nez comme un intermédiaire prêt à tout, qui attire les sourires, et le héraut égyptien, masque de loup sur le visage, venant saisir par les cheveux la femme qu’il convoite, qui lui éveille la peur.

Les trois acteurs ont la diction et la posture des tragédiens. Mireille Herbstmeyer, visage austère, mains suppliantes, évoque Maria Casarès qui fut en son temps une grande tragédienne. Frédéric Giroutru est un Prométhée révolté qui ne s’avoue pas vaincu et s’est rangé délibérément aux côtés des hommes. Toujours plein d’humanité, il incarnera dans le second volet le Roi d’Argos Pelasge qui décidera de protéger ces étrangères que sont les Suppliantes. La haute taille de Philippe Girard, sa voix grave et profonde en fait l’acteur idéal pour incarner les Dieux, tout comme la malheureuse Io.

La langue d’Eschyle dans toute sa beauté pour une tragédie qui rencontre un écho puissant dans notre démocratie

Micheline Rousselet

Jusqu’au 13 mai, Salle des fêtes de la Mairie annexe du 14ème, 26 rue Mouton-Duvernet, 75014 Paris – du 16 au 20 mai, Centre Paris Anim’Marc Sangnier, 20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris – du 23 au 26 mai au Théâtre 14 – mardi, mercredi, vendredi 20h, jeudi 19h, samedi 16h – Réservations : 01 45 45 49 77 ou billetterie@theatre14.fr


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