François Gremaud, l’auteur, ou devrait-on dire le co-auteur de ce Phèdre !, a commencé le théâtre très jeune en Suisse. Il a ensuite intégré l’Institut National des Arts du Spectacle à Bruxelles à l’époque, dans les années 90, où la scène flamande, avec entre autres Alain Platel, Anne-Teresa de Keersmaeker et le TG Stan, connaissait son apogée. Il y a pris le goût d’une absolue liberté et a fondé sa compagnie, dont le nom 2b (prononcez to be bien sûr), montre bien qu’il comptait inscrire son parcours sous le signe de l’absurde, du décalage et de l’humour. On peut ajouter, qu’ayant un jeune frère sourd-muet, il a très jeune appris le langage des signes et que cela l’a conduit à comprendre l’importance du langage corporel dans la communication.

Phèdre ! mêle l’œuvre de Racine et une sorte de conférence sur la pièce. La tragédie est là et pourtant on rit beaucoup. Romain Daroles qui joue tous les rôles de la pièce commence par nous raconter les origines mythologiques de Thésée et de Phèdre. Tout est vrai, mais émaillé de calembours du genre « colchides dans les prés c’est la fin de Médée » ou de citations potaches « ils sont venus, ils sont tous là, même ceux du sud de l’Italie … enfin de la Grèce en l’occurrence » cela devient du plus haut comique. Il saute du coq à l’âne, des vers de la tragédie racinienne à une mini-conférence sur les alexandrins, compare ceux de Racine et ceux de Corneille. Après le vers « Le roi qu’on a cru mort va paraître à vos yeux » il fait remarquer que c’est le 827ème vers de la pièce qui en comporte 1654, donc pile au milieu, ce qui fait de Phèdre « un bijou d’horlogerie suisse » !

Sous ses airs parodiques la mise en scène de François Gremaud révèle pourtant toute la force du théâtre. Romain Darolles qui joue tous les rôles de la pièce, plus celui du conférencier expert en digressions, est en jean et chemise. Il nous dit « C’est alors que par cette porte, majestueuse, entre Phèdre. Elle a une couronne sur la tête parce que c’est la Reine » et le spectateur voit Phèdre. Pourtant l’acteur se contente de tenir droit sur sa tête le texte de la pièce, au format des classiques de nos années lycée. C’est d’ailleurs la position de ce petit livre qui nous fera reconnaître chaque personnage : sous le menton en guise de barbe pour Théramène, posé sur l’épaule pour un Thésée revenant des Enfers en version échappé d’un groupe de rock « Back from hell », ou simplement posé sur la tête pour le timide Hippolyte !

François Gremaud nous fait partager son admiration profonde pour Phèdre, mais aussi son amour du théâtre. Il dit « je souhaitais mettre en scène la passion qu’un lecteur éprouve à l’égard de cette pièce et la jubilation qu’il a de transmettre cet amour ». En une heure et vingt minutes, aidé par ce superbe acteur qu’est Romain Daroles, on plonge dans la beauté des vers raciniens et on sort joyeux sourire aux lèvres de ce magnifique moment de théâtre.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 31 mars au Théâtre de La Bastille, 76 rue de la Roquette, 75011 Paris – du lundi au samedi à 19h – Réservations : 01 43 57 42 14 ou www.theatre-bastille.com

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