Brigitte Jaques-Wajeman nous a fait découvrir chez Corneille des portraits de femmes combattantes qui forçaient l’admiration. Elles se battaient pour défendre leur amour, ou s’en déprendre, alors que la société les condamnait à n’être que des objets d’échange dans des transactions où leurs désirs étaient ignorés. Chez Racine au contraire, surtout dans Phèdre le désir emporte tout. L’amour chez Phèdre détruit toute la construction sociale qui la structure. Elle est prête à tout, à l’adultère, à oublier les règles que lui impose sa condition de reine, à briser même le tabou de l’inceste. À côté de cette femme, celui pour lequel elle brûle, Hippolyte, n’est qu’un jeune homme sans expérience, amoureux d’Aricie, que son père lui a interdite, et qui ne veut pas faillir comme ce père qui a trompé tant de femmes.

La mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman est toute entière au service de cette tragédie du désir. Dans un décor où seule la lumière sculpte les panneaux évoquant les murs du palais passant de l’ocre au bleu, toute la place est donnée aux corps des acteurs. La fluidité des robes de soie brillantes, bleu nuit ou vert sombre pour Phèdre et Oenone sa nourrice, épousent les corps des actrices, sublimant la sensualité des vers. Le corps de Phèdre est un incendie, ses mains s’égarent sur son ventre, ses cuisses, elle effleure Hippolyte, lui enlève son manteau, brûle d’envie de le caresser, se rapproche, s’écarte, se laisse glisser à ses pieds le long de son corps. Hippolyte fuit le contact, se fige et finit par réagir en la repoussant. « De l’amour j’ai toutes les fureurs », ces vers appris au lycée prennent brusquement une force que nous ne soupçonnions pas à l’époque, révélée par cette représentation à la sensualité libérée où le caractère phallique de l’épée d’Hippolyte que saisit Phèdre devient clair.

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L’expression des passions est exaltée par les alexandrins, dits ici à la perfection. La respiration qu’ils imposent à la fin ou à l’intérieur des vers crée une musique reconnaissable entre toutes. Le sommet de l’artifice y tutoie le naturel au service de cette sublime tragédie du désir.

Raphaèle Bouchard est une Phèdre magnifique, osant toutes les transgressions pour avouer son désir à Hippolyte, tentant toutes les stratégies pour pouvoir le garder auprès d’elle quand elle croit son mari Thésée, mort. Elle se tord de douleur jalouse quand elle apprend qu’Hippolyte est en fait amoureux d’Aricie et retrouve une grandeur glaciale quand l’objet de sa passion étant mort, il ne lui reste plus qu’à assumer sa honte et à mourir. Raphaël Naasz campe un Hippolyte loyal, timide et réservé, tendre amoureux d’Aricie (Pauline Bolcatto) en robe de soie blanche. Bertrand Suarez-Pazos sait transformer le personnage de Thésée, mâle dominant soulevant avec force Phèdre, à son retour et s’effondrant rongé par la culpabilité à la mort de son fils. Sophie Daull (Oenone), Pascal Bekkar (Théramène), Lucie Digout (Ismène) et Kenza Lagnaoui (Panope) complètent la distribution.

Sublime tragédie de la passion et du désir, cette Phèdre fera date !

Micheline Rousselet

Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h

Théâtre de la Ville-Abbesses

31 rue des Abbesses, 75018 Paris

Réservations : 01 42 74 22 77


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